Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/484

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Molière, elle avait du moins Racine et Athalie où elle jouait un personnage ; mais elle désespérait Racine et elle trouvait la pièce ennuyeuse et froide : elle ne commença à la trouver admirable que lorsqu’elle y eut du succès dans son riche costume de Josabeth. La duchesse d’Orléans avait été une fascination pour Louis XIV ; la duchesse de Bourgogne était un amusement pour le vieux roi, une enfant impétueuse qui avait le droit de tout faire, même ce qui n’eût point été permis aux autres princes, et qui émerveillait par l’imprévu de ses saillies, par la liberté de ses propos, témoin le jour où, entendant le roi et Mme de Maintenon parler de la cour d’Angleterre et de la reine Anne, elle disait avec une piquante brusquerie : « Ma tante, — c’était le nom qu’elle donnait à Mme de Maintenon, — il faut convenir qu’en Angleterre les reines gouvernent mieux que les rois, et savez-vous bien pourquoi, ma tante ?… C’est que sous les rois ce sont les femmes qui gouvernent, et ce sont les hommes sous les reines. » Le règne d’ailleurs avait changé, et le siècle aussi inclinait vers sa fin, allant se perdre dans le XVIIIe siècle commençant. Les mœurs tendaient à s’altérer de plus en plus ; l’amour de tous les plaisirs avait un caractère moins raffiné. C’était le temps où tout un monde de jeunes cavaliers et de jeunes femmes d’une génération nouvelle échappait à l’étiquette en s’en allant la nuit dans les bois de Marly. Ou jouait un jeu effréné, et même le goût de la table se répandait. La jeune duchesse de Bourgogne elle-même, avec sa fougue naturelle, se laissait aller à l’étourdissement. Elle aimait ces courses mystérieuses et irritantes dans les bois de Marly. Elle jouait, perdait des sommes folles, se repentait d’une façon charmante, demandait pardon à Mme de Maintenon, qui la grondait, puis recommençait. L’entraînement du plaisir l’emportait toujours.

Dans cette vie agitée d’une jeune femme souveraine par la grâce, tout était fête et enivrement, et celui qui pouvait avoir le moins d’empire sur cette brillante et impétueuse organisation était le duc de Bourgogne lui-même. C’était, à vrai dire, l’union inégale de deux natures bien différentes. Autant la princesse était vive et légère, autant le jeune prince était sérieux et presque sauvage. Le duc de Bourgogne, fils du dauphin et petit-fils de Louis XIV, est assurément une des plus curieuses et des plus originales figures de ce siècle. Son père, le grand dauphin, était né indolent et paresseux, « tout à la matière, » dit Saint-Simon. La forte parole de Bossuet, qui fut son précepteur, ne put le réveiller et l’élever au-dessus d’une vulgaire condition morale. Le duc de Bourgogne était né avec des instincts terribles et emportés. Plein de passions et d’opiniâtreté, il ne souffrait aucune résistance. Il se livrait à tous les plaisirs avec fureur, et était farouche jusqu’à la cruauté. Il joignait à une hauteur