Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/485

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étrange de caractère un esprit vif et pénétrant. Ce fut l’œuvre du duc de Beauvilliers, secondé par le duc de Chevreuse et surtout par Fénelon, d’assouplir cette rude nature par une éducation de tous les jours et de toutes les heures. Par un effort singulier sur lui-même, ce jeune prince, né violent, était devenu un homme nouveau, doux, affable, animé d’un haut sentiment du devoir, austère, fuyant les plaisirs, et toujours un peu sauvage par crainte de lui-même et des autres. Le duc de Bourgogne ressentait pour sa jeune femme un amour ardent ; il avait pour elle des préoccupations et des délicatesses infinies. Il s’inquiétait surtout de cette vie de plaisirs qu’elle menait ; quelquefois il refusait de la suivre, et se réfugiait chez lui. En un mot, ce qu’elle aimait, il ne l’aimait pas, et le contraste éclatait dans les goûts autant que dans les caractères. Cette sérieuse et austère nature ne pouvait plaire à la vive et pétulante princesse. Ce n’est pas qu’il y eût une antipathie réelle. La duchesse de Bourgogne avait de l’estime pour le jeune prince, elle le défendait même dans sa considération contre les intrigues de cour, elle cherchait à adoucir ses mœurs ; mais elle né l’aimait pas, elle se moquait de son austérité et de ses dévotions, et elle disait en riant : « Je suis sûre que si je mourais demain, le duc de Bourgogne épouserait une sœur grise ou une tourière de Sainte-Marie. » Et Louis XIV était de l’avis de sa petite-fille ; il n’aimait pas ce jeune homme sévère ou bizarre, qui se refusait au plaisir, s’absentait du bal de la cour, et ressemblait à un censeur ; il le lui faisait sentir par ses railleries de Jupiter mécontent. Le dauphin et sa petite cour de Meudon semblaient préférer un autre frère du jeune prince, le duc de Berri. Tout le monde était un peu de cette conspiration contre le farouche époux de la brillante princesse.

Vive, d’humeur galante, ayant peu de goût pour son mari et tout enivrée de jeunesse et de fêtes, la duchesse de Bourgogne n’eut-elle pas d’autres goûts, — je ne veux dire d’autres passions ? C’est peut-être ici un point délicat que Mme de Caylus effleure, que le grand révélateur Saint-Simon laisse entrevoir, et que n’oublie pas la spirituelle demoiselle d’honneur qui écrit aujourd’hui ; il y a en un mot ce qu’on peut appeler le chapitre des amoureux de la duchesse de Bourgogne et des faibles de cœur de la piquante princesse, chapitre romanesque et resté à demi dans l’ombre. Ce furent tout au moins des commencemens d’aventure et de sentiment. Le premier amoureux fut M. de Nangis, un des plus brillans seigneurs de la cour, quoiqu’il soit devenu un pauvre maréchal de France, beau, bien fait, ayant de la grâce et de la discrétion, connu pour sa valeur à la guerre. La duchesse de Bourgogne ne fut pas Insensible, dit-on ; elle avait du goût pour M. de Nangis, et les bois