Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/487

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put cacher son émotion ; elle resta enfermée tout le jour sous prétexte d’une migraine, et elle pleura, dit-on. Il faut le dire, dans ces liaisons rapides que les bois de Marly couvraient de leur ombre mystérieuse, il y avait plus de légèreté et de vivacité de jeunesse que d’entraînement vulgaire ; il y avait surtout cette coquetterie naturelle qui voulait plaire à tout le monde, et laissait toujours espérer. Et ce qu’il y a de curieux, c’est que tout le monde à la cour était dans la confidence de la duchesse de Bourgogne, et nul ne la trahissait. Elle était si bien aimée qu’on s’entendait pour se taire et pour garder ce secret, qui était le secret de tous. Un jour des vers satiriques furent déposés sur une balustrade de Versailles, ils furent trouvés par Madame, la Palatine, cette rude Allemande, qui ne se gêna pas pour les montrer ; mais ils furent aussitôt détruits, et la cruelle médisance resta étouffée dans le silence. Le secret était si bien gardé que le roi et le duc de Bourgogne ne se doutaient nullement de ces petites intrigues. Mme de Maintenon seule ne les ignorait pas, et un jour, comme la duchesse de Bourgogne, folâtrant et badinant, remuait avec sa familiarité habituelle les papiers de celle qu’elle appelait sa tante, elle tomba sur une lettre où ses aventures de galanterie étaient racontées par une de ses dames d’atours. La princesse pâlit et rougit tour à tour, tandis que Mme de Maintenon la suivait du regard en lui disant : « Eh bien ! mignonne, qu’avez-vous donc ? » La dame aux coiffes noires gronda, la duchesse pleura, et tout fut fini, car Mme de Maintenon l’aimait réellement ; elle aussi, elle gardait son secret. Ce goût de galanterie d’ailleurs était contenu chez la duchesse de Bourgogne par une fierté naturelle qui l’empêchait de glisser dans le désordre ou qui la ramenait à temps, et qui la tenait éloignée soit de la petite cour de Meudon, où régnait Mlle Choin à côté du grand dauphin, soit des autres princesses légitimées, telles que Mme la Duchesse et Mme de Conti, qui étaient des filles de Mme de Montespan. Elle n’était pas toujours en bonne intelligence avec ce monde, où l’on enviait sa faveur auprès de Louis XIV, et où l’on se moquait des enfantillages auxquels elle se livrait pour amuser le vieux roi. Elle se moquait encore plus des princesses qui remarquaient ses galanteries ou ses enfantillages. « Eh ! je m’en ris ! Eh ! je me moque d’elles ! disait-elle plaisamment, et je serai leur reine. Je n’ai que faire d’elles ni à cette heure ni jamais, et elles auront à compter avec moi, et je serai leur reine ! » La malice, chez la pétulante princesse, ne laissait pas de cacher de la hauteur et de la fierté.

La duchesse de Bourgogne était donc à vingt-cinq ans dans le plein épanouissement de la jeunesse, elle jetait sur une époque en déclin le dernier reflet de sa grâce piquante ; tout était fête pour