Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/498

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toujours assez d’esprit pour réparer les erreurs d’une concession trop légèrement étudiée, et pour s’assurer par des avantages habilement et opportunément accordés le concours du crédit occidental. Ils avaient trop présumé de l’intelligence des deux ministres de l’empereur Alexandre qui gouvernent les finances et les travaux publics de ce vaste empire. La France ne s’est point effrayée de l’aide que les capitaux anglais lui prêtèrent au commencement de ses grandes entreprises de chemins de fer, et elle n’a point regretté le profit que les capitaux anglais ont pu retirer de ce concours. La Russie, elle, a peur que l’on ne s’enrichisse à ses dépens quand on va lui porter l’instrument qui doit féconder ses richesses naturelles ! L’état en France s’est imposé d’énormes charges pour engager l’industrie privée à entreprendre la construction du réseau : le gouvernement russe a feint d’ignorer jusque dans ces derniers temps que les gouvernemens continentaux ont tous subvenu largement à la construction des chemins de fer. Tandis qu’aujourd’hui encore, en France, l’état est obligé, pour continuer l’œuvre des chemins de fer, de prendre à son compte la moitié de la dépense d’établissement des nouvelles lignes, en Russie le gouvernement se figure qu’il pourra se donner des chemins de fer avec l’amorce usée d’une simple garantie d’intérêt l Quelle est la conséquence de ces erreurs, où l’on ne sait ce qui l’emporte de l’incapacité, de la vanité, ou de la jalousie de l’étranger ? Le crédit de la Russie est gravement entamé ; la Russie est en proie à une crise financière au moment où, par la généreuse initiative de l’empereur Alexandre, elle affronte une crise sociale. Pour faire réussir l’émancipation des serfs, il fallait la soutenir par une habile politique de travaux publics et par une savante et hardie politique financière. On ne l’a pas su, et les deux crises s’aggravent en se compliquant l’une par l’autre. Dans cette situation, il n’est point téméraire de prédire que la force des choses entraînera l’empereur de Russie à finir par où il aurait dû commencer, à réformer les institutions politiques de son empire. Il fera plus ainsi pour sa vraie puissance, pour la prospérité et l’honneur de ses peuples, qu’en essayant, comme une rumeur le prétend, de renouveler avec la Prusse et l’Autriche la ligue des copartageans de la Pologne. On aurait pu tenir avec autorité ce langage au gouvernement de Saint-Pétersbourg dans le parlement d’Angleterre ; mais la défiance que des fautes commises sur le continent inspirent à l’Angleterre, le besoin qu’elle croit avoir de l’alliance des puissances du nord et du centre de l’Europe pour parer on ne sait à quelle éventualité, altèrent le ton du libéralisme anglais. Dans son humeur actuelle, l’Angleterre aime mieux commenter les statistiques que lui envoie sa légation de Pétersbourg : elle y voit que l’Angleterre absorbe la moitié des exportations et fournit le tiers des importations de la Russie. C’est un beau compte-courant entre deux peuples, et l’Angleterre en est satisfaite. Tout au plus laisse-t-elle entendre que ses sympathies pour la Pologne pourraient prendre une forme pratique, si la question d’Orient venait à donner de nouveaux soucis ; mais, bah ! le moment n’est guère propice aux agressions