Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/501

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coup, le gouvernement italien aborde par la nécessité même de son existence des problèmes qui font tressaillir le monde. Ce n’est pas M. Ricasoli qui est homme à dissimuler l’importance de ces problèmes. On reproche au contraire au premier ministre italien de les avoir trop nettement accusés par le discours politique qu’il a prononcé dans la discussion de l’emprunt. Il y a une singulière injustice dans cette critique. M. Ricasoli a pris le pouvoir dans un moment où le mouvement italien, ayant conquis les positions intermédiaires, n’a plus devant lui que ses deux grands écueils, Rome et Venise. Personne n’est moins disposé que nous à conseiller l’impatience aux Italiens ; nous ne leur dirons pas de se hâter vers Rome ou vers Venise. Ces deux grands obstacles, où ils rencontrent la France et l’Autriche, au lieu de provoquer leur élan, doivent au contraire les inviter à se replier sur eux-mêmes, à se recueillir, à se fortifier. La question romaine d’ailleurs, nous l’avons mainte fois répété, et c’est l’avis des plus éminens esprits de l’Italie, ne peut se trancher par un coup de force ; mais, cela étant, et les paroles de M. Ricasoli ont été sur ce point conformes aux conseils de la prudence, le premier ministre pouvait-il raisonnablement voiler l’objet des aspirations italiennes et passer sous silence ce qui est la condition vitale de la constitution définitive du nouveau royaume ? Plus M. Ricasoli était résolu à pratiquer la modération dans la conduite, et plus, suivant nous, il devait être énergique et net dans l’expression des vœux de l’Italie. Nous voyons donc une garantie de sagesse pratique dans ces paroles vigoureuses où d’autres ont voulu blâmer une provocation imprudente. Nous conseillons aux Italiens de ne point se décourager, s’ils n’ont pas réussi d’emblée à convertir le gouvernement français à leurs théories sur Rome. Ils veulent donner à l’église la liberté spirituelle la plus large en échange du pouvoir temporel de la papauté. La situation qu’ils entendent faire à l’église en Italie est une révolution radicale dans les rapports de l’église et de l’état. Cette révolution ne pourrait être contenue dans les limites de la péninsule, elle s’étendrait nécessairement à tous les pays catholiques ; mais ces pays, et la France au premier rang, n’ont pas tous encore des institutions politiques qui comportent l’entière liberté de l’église : ils ne sont donc point préparés à la révolution méditée par les Italiens. Il faut que les Italiens, tout en gardant l’espoir fondé qu’ils auront pour eux le bénéfice du temps, accordent aux autres nations catholiques, surtout à la France, des délais indispensables. Résoudre à nouveau le problème des relations de l’église et de l’état n’est point une œuvre aussi facile que la conquête et la pacification du royaume de Naples, et pourtant les Italiens n’ont rempli encore de cette dernière tâche que la moitié, comme nous le montrent les troubles des provinces napolitaines, la regrettable retraite de M. de San-Martino, et la mission militaire qui vient d’être donnée au général Cialdini.


E. FORCADE.