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bitait Constantinople. Les voluptueux voyages d’Ancyre amenaient d’autres divertissemens que savait varier à l’infini l’imagination d’un esclave enfant de l’Euphrate : Eudoxie seule y manquait.

En dépit du philosophe Synésius et de ses remontrances, la cour s’abîmait de plus en plus dans les fantaisies d’un luxe sans frein. Nos magnificences pâliraient auprès de celles du palais d’Arcadius, et nos recherches de mollesse seraient en comparaison presque grossières. De peur que le contact du bois, de la pierre ou même des marbres précieux n’offensât les pieds sacrés du prince, on étendait sur le pavé des appartemens, comme un tapis plus moelleux que ceux de l’Égypte ou de l’Inde, un lit de sable d’or très fin, apporté de loin et renouvelé chaque jour. Un service régulier de navires et de chariots était organisé pour cet emploi entre Constantinople et les contrées de l’Asie qui produisaient la poussière d’or. D’innombrables esclaves de toute profession et de tout pays, distingués par le costume, formaient comme un peuple intérieur, qui faisait du palais et de ses dépendances une véritable ville. On était loin alors des temps de Constantin, pourtant si critiqués pour leur luxe, et les mille cuisiniers, les mille barbiers, les mille échansons, que Julien chassa avec tant de fracas à son entrée dans Constantinople, eussent paru sous Arcadius d’une simplicité rustique et bien peu digne d’un maître de l’empire.

Sitôt qu’arrivait l’été avec ses chaleurs, le fils de Théodose, sur un signe de son ministre, se préparait à déserter le palais pour les fraîches campagnes de la Phrygie. Le jour du départ était proclamé dans la ville, comme celui d’un spectacle où la foule curieuse était conviée. Dès le matin en effet, les rues qui s’étendaient du forum au port se remplissaient d’une multitude impatiente de voir et d’admirer. Dans le port stationnait une flotte de barques richement décorées, prêtes à conduire le prince et sa suite sur la rive opposée du Bosphore. A l’heure fixée par le cérémonial commençait à déboucher des portiques du palais, en longues files espacées, la double milice des appariteurs et des soldats, ceux-ci habillés de blanc sous des enseignes brodées d’or. Le corps des domestiques, avec ses tribuns et ses généraux vêtus de toges d’or, montés sur des chevaux harnachés d’or, une lance dorée dans la main droite, et dans la gauche un bouclier à champ d’or semé de pierres précieuses, attirait surtout l’attention des spectateurs. A la suite des cohortes palatines, et flanqué d’un cortège de grands officiers, de ministres et de comtes à cheval, apparaissait le char impérial traîné par des mules d’une blancheur sans tache, portant des housses de pourpre parsemées d’or et de pierreries. Le char lui-même, garni dans tout son pourtour de lames d’or mobiles qu’agitait perpétuellement le mouvement des