Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/520

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tioche même l’école la plus célèbre de l’Asie. Jean s’y fit remarquer dès son début par ce don de la parole qui lui valut plus tard le surnom de Chrysostome, c’est-à-dire bouche d’or. Le vieux maître admirait dans le jeune homme ce langage vif, coloré, tantôt arrondi en périodes savamment balancées, tantôt impétueux et rompu à dessein, qui faisait le cachet de l’éloquence grecque asiatique, et qui caractérise celle de Chrysostome. Il songeait à l’avoir pour successeur dans la direction de son école, et quand il se vit déçu dans son projet, on l’entendit s’écrier avec amertume : « Les chrétiens me l’ont enlevé ! » La mère de Jean le destinait au barreau, chemin de tous les honneurs ; elle ne réussit pas davantage. Après avoir plaidé quelque temps, Jean se dégoûta de sa profession ; il se dégoûta plus encore de la vie licencieuse que menaient les jeunes avocats d’Antioche : des passions plus sérieuses le sauvèrent.

Ce fut vers l’étude de l’Écriture sainte qu’au sortir des mains de Libanius Jean se sentit entraîné par une pente irrésistible. Il s’adressa à l’évêque d’Antioche, qui le reçut dans son clergé en qualité de lecteur ; mais, trouvant l’église trop mondaine, il voulut s’enfuir au désert en compagnie d’un ami. Retenu par les larmes de sa mère, il se créa dans sa propre maison une solitude où, pour se tromper lui-même, il accumula tout ce qu’il rêvait ailleurs d’austérités : veilles, jeûnes, macérations, et ce que l’ascétisme pouvait imaginer de plus dures pratiques. Cette fiction du désert ne lui suffit pas longtemps ; il lui fallut la réalité. Un grand nombre de chrétiens, tourmentés de la même passion, s’étaient alors retirés dans les montagnes voisines d’Antioche, où ils formaient comme une nation de cénobites : Jean courut les rejoindre ; mais cette demi-solitude l’eut bientôt rassasié : il n’était fait ni pour les règles vulgaires, ni pour les tempéramens de conduite. Un jour donc il quitta son couvent pour aller vivre dans une caverne où il passa quatre années, s’abîmant dans l’étude, dans la contemplation, dans des privations inouies, mangeant à peine, et passant les nuits debout pour dompter le sommeil. Poussée avec la ténacité que Jean mettait dans ses entreprises, cette lutte de l’esprit contre le corps ruina sa santé pour jamais. Quand il se fut saturé d’isolemens et d’austérités, il reparut subitement dans Antioche, où l’évêque, ravi de le retrouver, le prit comme diacre et ensuite comme prêtre. Ses premières prédications attirèrent par leur éclat l’attention de toute la chrétienté orientale. L’enfant des rhéteurs païens, orateur chrétien par la vertu du désert, apportait dans le monde, avec un savoir immense, une pensée mûrie par la méditation, sans que sa parole eût rien perdu de cette ampleur élégante et de ces vives images qui plaisaient tant aux Grecs d’Asie. Ce fut comme une apparition du génie ionien,