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la ville et les évêques en passage. Chrysostome supprima tout cela. Les meubles du palais furent vendus, ainsi que la garde-robe des anciens évêques ; à l’or et à la soie succédèrent partout la laine et la bure. Quand l’économe de l’église lui présenta le livre des dépenses de table, Chrysostome le repoussa avec mépris : « Qu’est cela ? dit-il. Mes minces revenus sont suffisans pour me nourrir, je ne veux point de l’argent de l’église. » Le luxe des basiliques ne fut pas plus épargné que celui des appartemens et de la table : le nouvel évêque vendit tous les ornemens de prix, et jusqu’à des vases sacrés qu’il jugea trop magnifiques. Il fit mettre également à l’encan des marbres préparés par Nectaire pour l’église d’Anastasie, que cet évêque affectionnait, et où Grégoire de Nazianze avait prononcé ses éloquens adieux : on put voir dans l’acte de Chrysostome un blâme jeté sur son prédécesseur, qui avait été un prêtre indulgent et regretté, et ce blâme n’était pas charitable. Du produit de ces ventes, l’évêque fonda un hospice pour les étrangers malades, et donna le reste aux pauvres ; ses ennemis ne manquèrent pas de publier qu’il appliquait l’argent à son profit. Sa justification était évidente par ses œuvres et par ses aumônes ; mais son âpre désir de tout changer, de tout briser, de dominer jusqu’à la mémoire de ses prédécesseurs, choquait la conscience publique dans les rangs élevés du monde, et on en profitait pour le perdre.

Sa manière de vivre, il faut l’avouer, put surprendre une grande métropole, capitale de l’empire, où l’évêque, considéré comme un haut fonctionnaire, marchant de pair avec les plus élevés, fréquentait la cour, et entretenait des relations au sein de la société élégante et riche. Chrysostome rompit tout d’abord ces relations, et déclara qu’il ne mettrait le pied à la cour que pour les affaires urgentes de son église. Cédant à son goût constant pour la retraite, il se fit dans le palais épiscopal, comme autrefois dans la maison de sa mère, une solitude où il aima à se confiner, mangeant seul, n’invitant jamais personne à sa table, et ne dînant jamais chez autrui. Cette vie passablement étrange donna lieu à mille interprétations qui ne le furent pas moins : les uns firent de Chrysostome un avare qui se laissait mourir de faim pour entasser écus sur écus ; d’autres le peignirent comme un débauché qui se livrait, loin de tous les regards, à « des orgies de cyclope » (c’était le terme dont on se servait) ; d’autres enfin racontèrent de lui des infirmités bizarres, inconnues, qu’il avait intérêt de cacher aux regards des hommes. Ces accusations, dont la source principale résidait dans le mauvais vouloir du clergé, prirent une telle consistance que l’évêque se crut obligé d’en parler en chaire, et il réfuta la calomnie des « orgies de cyclope » en découvrant sa poitrine et montrant ses bras amai-