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Il n’avait pas gouverné trois mois que tout son clergé était soulevé contre lui : diacres et prêtres cabalaient à qui mieux mieux ; l’évêque leur rendit guerre pour guerre, il en cassa, il en renvoya plusieurs. Un mot imprudent mit le comble à leur exaspération, un diacre nommé Sérapion, qui le poussait dans la voie des rigueurs, et, comme il arrive de tous les caractères excessifs, avait pris une grande influence sur lui, se penchant vers son oreille au milieu d’une discussion tumultueuse, lui dit assez haut pour être entendu de quelques-uns : « Évêque, prends un bâton et chasse-moi du même coup tous ces gens-là, car autrement tu n’en viendras pas à bout. » C’en était trop. L’évêque et le clergé formèrent dès lors deux camps séparés qui s’épiaient incessamment, l’un pour diffamer, l’autre pour punir. Les clercs répandus dans le monde allaient de porte en porte déverser le ridicule ou la calomnie sur leur chef, qu’ils bravaient par l’infraction de tous ses ordres. Tandis que la division la plus lamentable régnait dans l’église de Constantinople, Chrysostome ne se fit pas plus d’amis parmi les évêques des diocèses voisins, sur lesquels une suprématie de fait était exercée par le siège de la ville impériale. Jean les traita sans beaucoup plus de ménagement que ses propres clercs, et des hommes, ses égaux, qui pouvaient même, à un moment donné, devenir ses juges, crièrent aussi à la tyrannie et tendirent la main aux ennemis du dedans.

Si le ministre d’Arcadius, en appelant près de lui Chrysostome et livrant au simple prêtre d’Antioche le plus beau siège épiscopal de l’empire, avait pu songer à se faire un complaisant, il aurait certes montré peu de discernement des hommes. Il suffisait même, en dehors de toute autre considération, que le nouvel élu fût notoirement la créature d’Eutrope, pour qu’il évitât avec soin toute apparence de faiblesse au nom de sa propre dignité et des devoirs de son ministère : ici le caractère de l’évêque répondait trop bien aux idées d’indépendance sacerdotale pour qu’il n’en fût pas ainsi. La bonne intelligence exista donc à peine quelques jours entre des personnages si différens, placés en face l’un de l’autre et en contact perpétuel. Le spectacle de ce qui se passait à la cour fit fermenter la bile du prélat, qui se crut le droit de régenter les ministres de l’empereur, et l’empereur lui-même, comme il régentait ses clercs. Ce furent d’abord des remontrances privées, orales ou par écrit, tantôt sur le luxe et les dépenses du palais, tantôt sur la passion du théâtre et des courses du cirque ; peu à peu ces plaintes devinrent publiques ; des avertissemens et presque des menaces étaient proférés en pleine chaire sous des allusions qui ne trompaient personne. Enfin, des tremblemens de terre ayant eu lieu à Constantinople pendant cette année 398, Chrysostome s’emporta jusqu’à dire