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tée. Partout sur les visages éclatait cette joie vulgaire que produit chez les petits la chute inopinée des grands. Quant à Chrysostome, une seule pensée l’absorbait, celle du triomphe de l’église sur les puissances de la terre, et il y joignait l’orgueil d’avoir été choisi d’en haut pour instrument de ce beau triomphe. C’était là la signification religieuse des faits qui se déroulaient sous ses yeux : ce fut le thème de son discours. Eutrope n’était point pour lui un ennemi personnel, mais un ennemi de l’église ; il n’était point non plus un de ces obscurs misérables envers qui la charité commune ordonne l’oubli ; c’était un grand coupable, entouré de l’éclat du monde, qui avait osé méconnaître les droits de Dieu, que Dieu avait renversé dans sa colère, et à qui, pour dernier châtiment, le prêtre allait infliger, du haut de sa chaire, l’humiliation du pardon. Tel est le point de vue où il faut se placer pour bien comprendre la scène qui va s’ouvrir, et qui donna lieu chez les spectateurs eux-mêmes à des appréciations très diverses.

On pourrait croire que l’évêque avait voulu seconder l’effet de sa puissante parole par un appareil un peu théâtral, car à l’instant où, monté sur l’estrade qui lui servait de chaire, il commandait le silence d’un mouvement de sa main, le voile du sanctuaire s’ouvrit, et l’auditoire aperçut Eutrope. L’ancien ministre était agenouillé presque sous l’autel, qu’il enlaçait de ses bras, pâle, couvert de cendres, et si tremblant qu’on pouvait entendre en quelque sorte le claquement convulsif de ses dents. Profitant de l’émotion produite par ce spectacle inattendu, l’évêque commença ainsi :

« C’est en ce moment plus que jamais qu’il est permis de dire avec le sage : Vanité des vanités, tout est vanité. Où donc est maintenant la splendeur du consulat ? Où est l’éclat des lampes et des torches ? Où sont les applaudissemens et les chœurs de danse, les festins et les joyeuses assemblées ? Où sont les couronnes et les magnifiques tentures ? Les rumeurs flatteuses de la ville, les acclamations du Cirque, les adulations des milliers de spectateurs, où sont-elles ? Tout cela a passé. Le vent, soufflant tout à coup, a balayé les feuilles, et nous montre l’arbre nu, ébranlé jusque dans ses racines : si violente a été la tempête, que toute force a été brisée en lui, et qu’il va tomber. Où sont les prétendus amis ? où est l’essaim des parasites ? Et les tables chargées de viandes, le vin bu à la ronde pendant des journées entières, les raffinemens variés des cuisiniers, le langage souple des serviteurs de la puissance : qu’est devenu tout cela ? Un rêve de la nuit qui s’évanouit au jour, une fleur du printemps qui se fane à l’été, une ombre qui passe, une fumée qui se dissout, une bulle d’eau qui éclate, une toile d’araignée qui se déchire. — Aussi disons, disons toujours : Vanité des vanités, tout est vanité. Inscrivez ces mots sur vos murailles, sur vos vêtemens, sur vos places, dans vos rues, sur vos maisons, sur vos fenêtres, sur vos portes ; inscrivez-les surtout dans vos consciences, afin qu’ils se repré-