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tenta de leur tirer un peu de sang en leur écorchant la peau avec la pointe du fer. Cette féroce plaisanterie achevée, Gaïnas retint dans son camp les trois Romains qui restèrent ses prisonniers.

Débarrassé de trois conseillers dont il redoutait à bon droit la fermeté, Gaïnas revint à la charge et somma l’empereur pour la dernière fois de se rendre à Chalcédoine, afin d’y conférer avec lui. À proximité des murs de la ville, près du rivage, s’élevait une église dédiée à sainte Euphémie martyre ; ce fut le lieu désigné pour l’entrevue, et les deux parties s’engagèrent, sous serment, à ne se point dresser mutuellement d’embûches. L’empereur arriva comme il avait été convenu, et Gainas lui signifia de vive voix ses conditions : il voulait le généralat suprême des armées de l’empire, infanterie et cavalerie, troupes romaines et troupes barbares ; en un mot, il voulait ce que possédait Stilicon en Occident, ce qu’il avait ambitionné avant et depuis la mort de Rufin, ce qui en réalité était tout le gouvernement avec un prince enfant comme Honorius, ou imbécile comme son frère. Ce dernier accepta tout et signa la paix avec son général révolté. La première conséquence fut de livrer Constantinople aux Goths, ainsi que la Thrace et la Chersonèse, où l’on échelonna leurs troupes. Des navires romains, unis à une flottille barbare que Gaïnas s’était construite pour ses expéditions, amenèrent successivement de l’autre côté du Bosphore les divisions de l’armée rebelle, et la métropole de l’Orient prit l’aspect d’une ville conquise.

Le généralissime Gaïnas ne fut pas plus tôt installé à son poste, que de nouvelles difficultés surgirent ; elles naissaient chaque jour plus vives et plus imprévues. Ainsi il voulut que l’empereur cédât une des églises de la ville à ses Goths, qui étaient ariens, et qui, en vertu des lois de Théodose sur l’exercice du culte chrétien, ne pouvaient avoir d’église dans l’enceinte de Constantinople, réservée aux seuls catholiques. « Que signifient cette humiliation et cette gêne ? disait Gaïnas. Les catholiques sont-ils plus braves que nous ? défendent-ils mieux l’empire ? sont-ils des serviteurs plus attachés au prince ? » Arcadius lui objectant que telle était la loi, Gaïnas répliquait avec colère que, si la loi était mauvaise, il fallait la changer, et qu’un césar pouvait bien défaire ce qu’un autre césar avait fait. À bout de raisons, Arcadius renvoya le Barbare à Chrysostome : « Entendez-vous ensemble, lui dit-il, et ce qui sera décidé entre vous, je le ferai. » Gaïnas, à toutes ses prétentions désordonnées, mêlait celle de la théologie, et il se portait pour l’apôtre de l’arianisme depuis qu’il avait soutenu contre saint Nil une discussion sur la question fondamentale du dogme arien, la ressemblance et non l’identité de substances dans le mystère de la Trinité, et qu’il se flattait d’avoir battu son adversaire. Il consentit donc à une conférence avec le célèbre évêque de Constantinople, qu’il attendit de