Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/556

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Goths fidèles les gorges des Carpathes, où il se cacha. Son projet, dit-on, était de retourner dans la patrie de ses ancêtres sur les bords du Pruth ou du Borysthène, et d’y achever tranquillement ses jours. Cette fin si différente de sa vie ne lui fut pas accordée. Les Huns occupaient alors l’ancienne terre des Goths, et leur roi Uldin recherchait l’alliance des Romains. Informé de la présence de leur ennemi au nord du Danube, il le fit traquer de caverne en caverne comme une bête fauve, le prit, le tua et envoya sa tête à Constantinople en témoignage de bonne amitié. Solidement plantée au bout d’une lance, la tête de l’ancien généralissime des milices d’Orient arriva dans la ville impériale le 3 janvier de l’année 40l ; elle put presque assister à l’entrée en charge du consul Fravitta et au triomphe d’Eudoxie, proclamée solennellement auguste.

Ainsi donc des quatre personnages qui, après la mort de Théodose, s’étaient promis le gouvernement du monde romain, des quatre acteurs principaux du drame sanglant de l’Hebdomon, un seul restait, Stilicon : Rufin, Eutrope et Gaïnas avaient l’un après l’autre péri de mort violente. Stilicon gouvernait toujours l’Occident, où nos récits le retrouveront bientôt ; il le gouvernait avec plus de puissance et d’éclat que jamais, tandis que le sceptre de l’Orient, voué à un ballottement perpétuel, venait de passer des mains d’un eunuque dans celles d’une femme.

Associée au gouvernement et devenue l’égale de l’empereur, la fille des Bructères et des Sicambres sembla ramener dans l’histoire romaine les temps d’Agrippine et de Livie. Sa statue, portée à travers les provinces comme celles des césars, y reçut des adorations presque païennes ; ce ne fut pas assez : il fallut qu’une de ses images, fondue en argent massif et dressée au haut d’une colonne de porphyre, vînt sur le forum de Constantin dominer le tribunal, et le sénat, et l’église elle-même. Cet excès d’orgueil la perdit ; elle trouva là en face d’elle Chrysostome, cet autre souverain de Constantinople, qui s’était fait de la multitude une milice ardente et dévouée. Alors commença entre Augusta et l’évêque la lutte fameuse qui remplit de troubles tout l’Orient, et eut pour incidens des émeutes, des conciles pleins de scandales et de tumulte, deux exils, deux condamnations épiscopales, Sainte-Sophie en cendres, et Constantinople, avec les merveilles des arts, à moitié ruinée par la flamme. Ces événemens, dont l’intérêt dramatique relève encore l’importance aux yeux de l’histoire politique comme à ceux de l’histoire religieuse, mériteraient assurément d’être exposés en détail ; mais ils n’entrent point dans le cadre où je dois renfermer ces récits.

Amédée Thierry, de l’institut.