Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/573

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reuse, et naturellement je m’arrangeais de façon à être toujours d’accord avec elle. C’est à cela que se bornaient les prétendues concessions humiliantes qu’on m’a souvent reproché de lui avoir faites.

Quelques voisins, méchans hors de toute mesure, ont même été jusqu’à oser dire qu’elle me battait. C’est là une calomnie sans pareille et qui se réfute d’elle-même, car il n’est pas supposable qu’armé d’une force naturelle supérieure à la sienne, je lui aie jamais permis de se porter sur moi à des voies de fait que rien du reste ne pouvait motiver. Non certes, elle n’était ni méchante, ni acariâtre, ni même impérieuse ; mais le sang qui coulait dans ses jeunes veines lui mettait parfois au cœur des vivacités singulières : elle s’emportait alors et dépassait peut-être les saines limites de la raison ; pouvais-je lui en vouloir de ces élans d’ardeur et de vie où se manifestait sa jeunesse ? Elle eut un défaut cependant ou plutôt une imperfection : elle était jalouse. Elle ne supportait pas que je regardasse une autre femme dans la rue ; lorsque par hasard je revenais du collège un peu plus tard que de coutume, elle me boudait et se livrait à des suppositions dont j’avais quelque peine à lui faire comprendre l’invraisemblance. Lorsque, pendant l’été, nous allions le dimanche en voiture jusqu’à Dives (c’étaient là nos grands jours de fête), et que nous nous promenions sur les bords de la mer en ramassant des coquillages, elle se fâchait gravement contre moi quand il m’arrivait de suivre des yeux une de ces femmes vaillantes qui vont, jambes nues, à la marée basse, chercher sur la grève des équilles et des vignots. Sa jalousie s’exerçait surtout contre une de ses amies que nous voyions assez fréquemment, et qui se nommait Henriette Fatargolle. C’était une fort aimable personne, blonde, blanche, douce, timide même, et dont le mari, petit homme haut en couleur, chauve, reluisant, jovial, quelquefois même un peu grossier dans ses plaisanteries, était employé dans un des greffes du palais de justice. Henriette et ma femme s’aimaient beaucoup, quoiqu’il n’y eût aucun point de ressemblance entre elles ; autant l’une était calme et lente, autant l’autre était vive et impétueuse. Faisant allusion à la couleur différente de leurs cheveux et aux aptitudes plus différentes encore de leurs caractères, j’avais coutume de les appeler « le jour et la nuit. » Célestrie goûtait peu cette comparaison, et prétendait qu’elle était faite à son désavantage. Henriette avait été élevée avec ma femme, et de la vie commune du pensionnat elle avait conservé l’habitude de supporter ses petites tyrannies sans jamais murmurer contre elle. Souvent je m’étais hasardé à faire à Célestrie de légères observations sur la façon un peu dure dont elle traitait son amie ; elle n’en avait tenu aucun compte et m’avait