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aimes mieux que moi, tu n’as qu’à les suivre, je ne te retiens pas. » Je savais déjà par expérience qu’il est inutile de raisonner avec une femme, lorsqu’elle est en colère, et je me tus, tout en donnant intérieurement tort à Célestrie. Henriette ne revint plus nous voir, et lorsque, seul dans les rues, je rencontrais M. Fatargolle, j’osais à peine lui serrer la main, dans la crainte que ma femme ne le sût et s’en irritât.

On eût dit vraiment que cette scène et la rupture qui en fut le résultat avaient éveillé en Célestrie des sentimens de coquetterie que je ne lui connaissais pas encore : elle aimait à se mettre en toilette pour avoir l’occasion de se parer de son collier d’ambre. Bientôt même elle ne le quitta plus, elle le portait tous les jours, le nettoyait sans cesse, le regardait, admirait les jeux de la lumière à travers ses grains à facettes, s’en servait quelquefois en guise de bracelet, et semblait enfin ne pouvoir le quitter. Je souriais à ces enfantillages, et je la laissais faire. Elle sauta de joie en m’entendant dire que les anciens croyaient voir dans les perles d’ambre les larmes cristallisées des sœurs de Phaéton. Un soir qu’elle jouait avec son collier pendant que je travaillais, elle en rompit le fil, et toutes les petites boules, chassées violemment de sa main, s’éparpillèrent sur le parquet. Il fallut tout quitter et rattraper une à une, sous les meubles, les perles égarées. Célestrie les mit précieusement dans une boîte, et me chargea d’aller, dès le lendemain matin, chez un bijoutier, les faire réunir de nouveau à l’aide d’un fil qui ne se pourrait briser. Je n’oublierai jamais qu’en me rendant le collier qu’il venait de réparer, le bijoutier me dit : « J’ai remplacé le cordon rompu par une petite corde à violon que je vous défie bien de casser. Elle est si solide, monsieur Floréal, ajouta-t-il en souriant, que vous pourriez étrangler votre femme avec. » Je frémis encore quand je pense à cette sinistre parole, qui n’était cependant qu’une plaisanterie de mauvais goût.

Plusieurs fois je fis des efforts pour amener Célestrie à aller voir Mme Fatargolle et lui dire qu’elle regrettait ses vivacités passées ; mais il me fut impossible de vaincre sa résistance. Par un effet de la passion que les femmes mettent dans les choses les plus simples, elle en était arrivée à se persuader que Henriette avait tous les torts. « Pourquoi, disait-elle sérieusement, a-t-elle voulu s’approprier un collier que je désirais acheter ? » Elle était sincère en parlant ainsi ; sans s’en douter, elle avait interverti les rôles, et elle avouait elle-même qu’elle aimait d’autant plus son collier d’ambre qu’il avait failli lui échapper.

Quoiqu’il me fût pénible de ne plus voir les Fatargolle, j’avais fini par prendre mon parti de leur absence, et mon bonheur n’en