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demandait-on. — Là, répliquais-je en frappant sur mon cœur, — Ah ! le pauvre homme ! dirent les assistans en se regardant entre eux et en haussant les épaules par un geste de pitié. Il est fou ! » Non, vraiment, je n’étais pas fou, je ne l’ai jamais été, et je ne le suis pas. Suis-je coupable, et faut-il calomnier ma raison, parce que je subis des phénomènes inconnus à la plupart des autres hommes ? La messe interrompue reprit son cours ; on m’entraîna, on voulut me calmer et me prouver que j’avais tort. « Elle est là, elle est là, je la vois, je la sens ! » criais-je toujours en pressant ma poitrine ; mais j’avais été battu par de si violentes émotions que j’en fus accablé : je tombai sans connaissance, et l’on m’emporta.

Lorsque je rentrai dans mon appartement, qui me parut plus désert et plus sinistre qu’une ville ravagée par la peste, ce fut avec un sentiment d’inexprimable tristesse. Je le parcourus comme si j’y cherchais l’hôte chéri que la mort en avait enlevé ; je touchais avec une sorte de recueillement religieux à tous les objets qui avaient appartenu à Célestrie, et pendant ce temps je voyais cette même Célestrie sourire dans mon cœur et tourner vers moi des regards pleins de commisération. Les larmes coulaient de mes yeux. Comme tout était triste ! Les chardonnerets, si babillards ordinairement, se taisaient dans un coin de leur cage ; les fleurs, qu’on avait oublié d’arroser durant ces jours cruels, penchaient leurs tiges souillées de poussière. L’appartement me semblait agrandi et rempli d’un silence qui m’effrayait ; quelque chose de nouveau venait d’y entrer : la solitude, que j’avais désapprise pendant tant de bonnes années auprès de Célestrie ; oui, la solitude, car je sentais bien que l’image qui vivait en moi, invisible pour le monde extérieur, ne remplacerait jamais l’être charmant près de qui j’aurais voulu vivre toujours. Je continuai ma lugubre inspection, je rassemblai tous ces gracieux petits outils dont les femmes se servent, le dé, les aiguilles, les ciseaux, l’ouvrage que la mort avait interrompu. Je rangeais le livre de messe à côté d’une vieille Bible qui avait autrefois servi à ma mère, lorsque, levant les yeux, j’aperçus tout à coup le collier d’ambre sur un meuble ! Je jetai un cri de désolation. Dans le tourbillon de douleur où j’avais disparu après la mort de Célestrie, je n’avais plus pensé à sa recommandation dernière, et les voisines qui prirent soin d’elle crurent bien faire en lui retirant ce collier avec lequel elle avait voulu être ensevelie et enterrée. Que faire ? J’avais beau fatiguer mon esprit, je n’inventais aucun moyen de réparer cet oubli déplorable qui me faisait manquer au vœu sacré d’une mourante. Je regardai Célestrie : son visage était sévère et son regard sans douceur. « Je te jure que je le conserverai toujours comme un précieux dépôt que tu m’aurais confié, » m’écriai-je en