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appuyant le collier contre ma poitrine. Célestrie secoua la tête, et des pleurs affluèrent à ses yeux. Sous un globe de verre, je réunis le bouquet qu’elle portait le jour de notre mariage et la couronne virginale qui avait pressé son front ; j’y joignis le collier d’ambre, et je déposai ces pieuses reliques devant moi, près de ma table de travail, afin de les avoir toujours sous les yeux.

Je repris ma vie bien tristement et sans courage. Le cher fantôme qui m’habitait et ne me quittait plus avait beau rappeler mon énergie, je me traînais à tâtons dans l’existence comme un aveugle qui a perdu son guide. Ce n’est pas que Célestrie eût cessé de me conseiller ; au contraire plus que jamais, maintenant que disparue pour tous elle ne vivait absolument que pour moi, elle dirigeait mes actions et substituait peu à peu ses pensées à celles qui jusqu’alors m’avaient conduit. Je sentais en moi son influence permanente toujours éveillée. Elle me donnait des vertus que je n’avais pas, et aussi, je dois le dire, des vivacités, des emportemens que mon caractère n’avait pas encore connus. Que de fois, ayant passé indifférent et songeur devant des mendians qui tendaient leurs mains vers moi, je me suis arrêté, je suis revenu sur mes pas, j’ai déposé mon humble aumône pour obéir à Célestrie, qui disait dans mon cœur : « Donne, celui qui donne aux pauvres prête à Dieu ! » Ce n’est pas moi, c’était elle qui faisait la charité. Bien souvent, au collège, j’avais contre mes élèves trop turbulens des colères que j’ignorais jadis : je les grondais, je les punissais à outrance ; une fois même je m’abandonnai jusqu’à en frapper un qui m’avait appelé vieux fou ! Lorsque j’étais revenu à moi, je déplorais ces excès et je disais à Célestrie : « Pourquoi donc te mets-tu ainsi en colère ? »

On pourrait croire que, réuni et pour ainsi dire indissolublement mêlé à celle que j’aimais, j’étais heureux. On se tromperait. J’étais le plus infortuné des hommes. Pour ne pas m’éloigner des lieux où j’avais vécu près de Célestrie et pouvoir sans cesse contempler les muets témoins de mon bonheur passé, j’avais conservé notre appartement, qui était pour moi comme un temple. Ô faiblesse des hommes ! ce fut là cependant que je commis le crime, mon vrai crime, celui d’avoir trompé tant de chers souvenirs, crime punissable bien plus que l’accident fatal qui s’ensuivit… Passons, passons : l’instant ne viendra que trop vite de raconter cet événement funeste dont la responsabilité m’écrase, quoique aux yeux de Dieu elle ne doive pas m’incomber. C’est donc dans cet appartement qu’elle s’était plu à orner pour en faire l’asile de notre heureuse existence que je vivais maintenant, cherchant en vain à tromper par mes occupations accumulées les pensées de désolation qui ne cessaient de m’obséder. J’étais, pour ainsi dire, environné de regrets qui, à toute