Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/589

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sentais littéralement qui trépignait dans mon cœur en criant : « Mon collier ! mon collier ! » Une rage aveugle m’envahit, je me levai d’un bond ; un nuage de sang troublait mes yeux, et comme celle qui s’agitait en moi, je me mis à crier : « Mon collier, mon collier ! — Le voilà ! le voilà ! » répondit Henriette éperdue, courant dans la chambre pâle de frayeur, et ne pouvant parvenir à dénouer la corde qui rattachait les perles. Je la poursuivais en répétant toujours : « Mon collier ! mon collier ! » sans conscience de mes paroles, sans conscience de mes actions, ivre, fou peut-être, à coup sûr stupide ! Henriette s’était jetée sur mon lit, ramassée dans un coin, les deux mains sur son visage, grelottant de terreur. « Je ne voulais pas le garder, disait-elle, c’était pour l’essayer. Floréal ! ô monsieur Floréal ! ne me maltraitez pas ; je vais m’en aller, jamais je ne le ferai plus,… je n’y toucherai plus jamais, » Je n’écoutais ou plutôt je n’entendais rien. Une force invincible me poussait. » Mon collier, m’écriai-je, ah ! misérable, tu m’as pris mon collier ! » J’allongeai le bras, je saisis le collier à pleines mains, je criais : « Veux-tu me le rendre ? » Une voix étranglée répondit quelque chose que je n’entendis pas ; je tirai le collier à moi, et comme il ne cédait pas à mon mouvement, je me mis à le tordre en fermant les yeux, n’apercevant plus en moi et autour de moi que Célestrie debout, furieuse, effrayante à voir. — Je tordais toujours cet infernal collier. Il me semble que j’entendis une sorte de râle étouffé, que des mains battirent mon bras avec une rapidité indicible ; il me semble qu’il y eut près de moi des convulsions dont je ressentis le contre-coup, mais je ne puis rien affirmer ; ce qui se passa dans cette chambre fut un rêve. Combien cela dura-t-il ? Je ne sais ; une éternité sans doute, car le temps me parut très long. Les yeux clos, raidissant toujours ma main dans son étreinte terrible, je regardais Célestrie, qui éclata d’un rire farouche. Puis peu à peu, par d’insensibles gradations, le calme se fit sur son visage ; à la colère qui l’animait tout à l’heure succéda une impression d’épouvante et de désespoir : de grosses larmes roulèrent sur ses joues, et, levant ses regards comme si elle eût voulu me voir, elle me dit d’une voix que secouaient des sanglots : « Ah ! mon pauvre homme ! qu’avons-nous fait ? »

Je rouvris les paupières ; ce que je vis fut horrible ! Henriette, couchée en travers sur mon lit, avait le visage tout pâle, marbré de taches violettes ; ses yeux renversés en arrière ne montraient que leur orbe blanc traversé par des filets sanguins que couvrait une teinte laiteuse ; sa langue tuméfiée apparaissait livide sur le bord de ses lèvres ; ma main, ma main meurtrière tenait encore le collier, dont quelques perles brisées jonchaient les draps blancs. Je dégageai mes doigts lentement, avec un effroi qui me remua tout en-