Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/590

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tier. Une ligne rouge traçait autour du cou un cordon sanglant ; nulle respiration ne soulevait la poitrine immobile. Je mis la main sur le cœur, il ne battait plus ; la douce Henriette était morte !…

Je tombai anéanti, à genoux, le front appuyé sur le lit où gisait le corps de la pauvre créature, ne comprenant rien au forfait que je venais de commettre, en proie à une sorte d’abrutissement aigu qui me faisait douter de ma raison ; des bruits de cloches sonnaient dans ma tête, et mes pensées indécises s’envolaient confusément sans que je pusse les saisir, semblables à des oiseaux de nuit effarouchés. « Ah ! malheureuse ! qu’as-tu fait ? disais-je à Célestrie. — Pardonne-moi, » me répondit-elle en pleurant. Je pleurais comme elle, et je restais prosterné, n’osant lever les yeux dans la crainte d’apercevoir la chose affreuse qui était étendue près de moi. Je demeurai là longtemps, longtemps, dans une somnolence douloureuse, abattu par une lassitude sans nom, et hors d’état de faire un mouvement ; je crois même que je m’assoupis pendant quelques minutes. Tout cela du reste est plein de confusion dans mon esprit ; c’est un cauchemar qui, pour moi, disparaît dans les épouvantes de mon souvenir. Mon nom prononcé à haute voix, puis des coups précipités frappés à ma porte me tirèrent de ma léthargie. Je me levai avec un battement de cœur affreux. « Est-ce qu’on vient m’arrêter ? » La voix disait : « Monsieur Floréal, il est plus de deux heures, vous êtes en retard ; on vous attend au collège pour faire votre classe, le censeur m’a envoyé vous prévenir. » Je me tins immobile, n’osant même plus respirer. « Il n’y est pas, » reprenait la voix. Une autre voix répondit : « Ah ! il y était ce matin, je vous assure, car on a fait un beau vacarme dans sa chambre. » J’entendis encore quelque mots, puis tout rentra dans le silence.

Je m’assis dans un coin, la face contre la muraille, tournant le dos au lit, et j’essayai de réfléchir. Chose étrange ! dans cet instant, l’idée de mourir ne me vint même pas. « Allons, me dis-je après une longue méditation, c’est un irrémédiable malheur ; je suis l’instrument du meurtre plutôt que le meurtrier ; ce que j’ai de mieux à faire, c’est de me remettre loyalement entre les mains de la justice et de dire la vérité. « Au moment de sortir, je pensai à Fatargolle, et j’éclatai en larmes. Quand je fus un peu remis, j’ouvris ma porte avec mille précautions, je descendis l’escalier sur la pointe du pied ; dans la rue, je me glissai le long des murailles, et j’arrivai chez le commissaire de police ; je le connaissais, car son fils était un de mes élèves. Dès qu’il me vit entrer, il vint à moi en me tendant la main. « Eh ! bonjour, cher monsieur Floréal, comment allez-vous par cette chaleur ? — Monsieur, lui répondis-je, je vais très mal, et je viens de tuer une femme. » Il éclata de rire. « Joli, joli !