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Mais la saturation de la Mer-Caspienne diminue-t-elle pendant le cours des siècles, ou bien est-elle au contraire dans une période d’accroissement ? Un voyageur allemand, M. Eichwald[1], admet l’augmentation de salure comme une chose évidente. Au premier abord, son assertion doit sembler parfaitement fondée, puisque le terrain des steppes abandonne peu à peu le sel qu’il contient. Les pluies et les eaux de neige, en pénétrant à travers la couche superficielle de sable, entraînent les particules salines et les concentrent dans le sous-sol argileux. Partout où se creusent les ravins si nombreux des steppes, les argiles salines sont délayées par les eaux, et vont à leur tour porter leur sel, soit directement à la mer, soit dans un lac, un étang ou quelque ancien lit de rivière. On peut facilement observer ce fait dans les limans, canaux étroits qui se ramifient à travers le sol des steppes, à l’ouest des bouches du Volga. Aussi longtemps qu’ils restent en communication avec le courant du fleuve ou les eaux marines très douces de ces parages, ils sont remplis d’une eau parfaitement potable ; mais que, par une cause quelconque, la communication vienne à être interrompue, les limans se transforment graduellement en lacs salés. En délayant les petites falaises d’argile dont ils baignent la base, ils se saturent de plus en plus de particules salines ; puis, lorsqu’ils s’ouvrent de nouveau une issue vers la mer, ils lui portent le tribut de sel qu’ils ont recueilli, molécule à molécule, dans le steppe. De même les fleuves dissolvent le sel que contiennent leurs rives, et lors de la fonte des neiges ou pendant les fortes pluies d’automne, de nombreuses ravines déversent dans la mer les eaux des lacs salés. Toutes ces causes, semble-t-il, doivent concentrer dans le bassin de la Caspienne une quantité de sel toujours croissante, et donner à ses eaux une teneur plus considérable.

Cependant M. de Baer ne croit pas à l’augmentation du degré de salure dans les eaux de la Caspienne, et, d’après lui, si la proportion du sel subit une modification quelconque, il faudrait plutôt admettre une diminution qu’un accroissement. Évidemment l’étude scientifique de la Caspienne est d’origine trop récente pour que des analyses dignes de foi puissent fournir des élémens de comparaison ; mais l’examen du sol que recouvraient autrefois les eaux supplée en partie aux observations directes. Dans ces plaines abandonnées par la mer, on rencontre çà et là des bancs considérables de coquillages identiquement semblables à ceux qui habitent aujourd’hui la

  1. Ce voyageur ayant, sans penser à mal, indiqué son itinéraire au ministre de la marine, le capitaine de navire chargé de lui faire visiter les points du rivage marqués sur la feuille de route le conduisit comme un prisonnier à tous les endroits désignés, et ne lui permit pas une seule excursion à droite ou à gauche. Peu importait la science au rigide capitaine : il ne connaissait que sa consigne.