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cheurs russes n’ont aucune expression pour en indiquer la transparence ; elle est pour eux rouge ou blanche selon la plus ou moins grande quantité de molécules argileuses ou de craie délayée qui la saturent. Toutes ces matières en suspension vont se déposer en îles, en îlots, en bancs de vase, jusqu’à une grande distance dans l’intérieur de la mer. Des barres, ayant toutes moins de 2 mètres 1/2 de profondeur, obstruent les embouchures ; les troubles produits par le courant, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, modifient sans cesse la direction du chenal et obligent les marins à faire constamment de nouveaux sondages. Les grands navires n’osent se hasarder sur la barre, et maintenant le port d’Astrakhan, situé près de l’origine du delta, à 80 kilomètres de la mer, n’est plus un port maritime.

Les atterrissemens du Terek n’envahissent la Caspienne guère moins rapidement que ceux du Volga, et forment un énorme delta qui dépasse 100 kilomètres de large. Une pêcherie, située il y a trente ans à l’extrémité d’une presqu’île maritime, se trouve aujourd’hui à 15 kilomètres dans l’intérieur des terres, et l’on prévoit déjà le moment où les alluvions rempliront toute la baie qui s’étend jusqu’à la péninsule d’Agrakhan. Il n’est pas étonnant que ce progrès si rapide des terres soit attribué par quelques géographes au retrait des eaux ; mais, s’il en était ainsi, les terrains laissés à nu par l’eau salée auraient donné spontanément naissance à des salicornes et à d’autres plantes qui aiment les rives saturées de sel. Au contraire, toutes les herbes et tous les arbustes du delta ne peuvent vivre que dans un sol d’alluvions apporté par les eaux douces.

Au sud de la chaîne du Caucase, le Kour et l’Araxe réunis accomplissent aussi un travail géologique considérable ; bien que, dans ces parages, la profondeur de la mer soit beaucoup plus grande qu’aux embouchures du Terek et du Volga, cependant le Kour a depuis les temps historiques rempli la moitié de la vaste baie de Kisil-Agatch, et projeté une péninsule d’alluvions jusqu’à 60 kilomètres en mer. Quelques auteurs se sont même demandé si dans les premiers siècles de notre ère la ligne des rivages ne passait pas en amont du confluent du Kour et de l’Araxe, à une distance moyenne de 100 kilomètres à l’ouest du rivage actuel. En effet, le témoignage très explicite de Strabon nous apprend que ces deux fleuves se jetaient autrefois dans la mer par des embouchures indépendantes, tandis qu’aujourd’hui l’Araxe, devenu simple affluent du Kour, lui apporte ses eaux à près d’un degré à l’ouest de l’embouchure commune. Grande matière à discussion ! Strabon se serait-il trompé ? Les deux fleuves auraient-ils opéré leur confluent dans un nouveau lit conquis à frais communs sur la mer ? L’Araxe aurait-il pu se permettre de désobéir au texte de Strabon et changer de cours ? M. de Baer a sur tant d’érudits qui ont cherché à élucider la ques-