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des Cosaques, de l’embouchure du Don à celle du Kouban, et projetait un large bras dans la direction de l’est. Ce bras, graduellement rétréci entre les premiers renflemens du Caucase, au sud, et les hauteurs d’Ergeni, au nord, s’unissait par un détroit d’environ 50 kilomètres de large aux eaux de la Mer-Caspienne, qui s’étendaient alors sur les immenses steppes d’Astrakhan jusqu’à l’embouchure de l’Emba. Ce détroit de communication entre les deux mers, cet ancien lit de la Méditerranée ponto-caspienne, est la vallée où coulent aujourd’hui les eaux du Manytch. Malte-Brun ne s’était donc point trompé en donnant cette dépression pour la véritable limite géographique entre l’Europe et l’Asie.

Comment le partage de la grande mer intérieure en deux nappes distinctes s’est-il accompli ? A-t-il eu pour cause l’effraction du Bosphore par les eaux du Pont-Euxin, ou plus simplement, comme le veulent Arago et le capitaine Maury, la diminution graduelle des pluies dans le bassin de la Russie méridionale ? Cette question nous semble pour le moment très difficile ou même impossible à résoudre ; mais déjà on peut affirmer et prouver que l’abaissement du niveau de la Caspienne s’est fait relativement d’une manière assez rapide. Dans les steppes des Kirghizes, non loin du lac Elton, s’élèvent à 200 mètres de hauteur au-dessus de la plaine les collines du Grand-Bogdo, qu’entouraient autrefois les vagues de la mer. Leurs flancs ont été déchiquetés par les eaux en tours, en dents, en aiguilles ; les flots y ont creusé de profondes cavernes, et l’on y voit même des marmites de géant grands entonnoirs où les ondes tourbillonnantes roulaient incessamment des roches détachées ; mais ces anciens écueils se montrent seulement dans une certaine zone, située sur tout le pourtour du massif à la même élévation au-dessus du sol des steppes ; plus bas, les roches ne portent plus aucune trace de l’action érosive des eaux, évidemment parce que le niveau de la mer a baissé trop rapidement pour que les eaux aient pu attaquer les murailles des falaises. On peut observer le même fait sur les rochers qui portent le fort de Novo-Petrovsk, près du cap de Tchuk-Karaghan. Ces rochers, séparés du plateau d’Oust-Ourt par un large ravin, étaient aussi un grand écueil battu des flots. Les assises inférieures, sur lesquelles pesaient des masses d’eau tranquille, offrent à peine quelques traces de l’action destructive de la mer ; à une certaine hauteur, les aspérités des roches ont été arrondies et polies par le mouvement incessant et régulier des vagues chargées de sable et de débris ; plus haut, quelques grottes, creusées sous des assises surplombantes, indiquent l’extrême élévation qu’atteignaient les lames poussées par un vent d’ouest. Les massifs de roches intactes qui se dressent au-dessus des grottes étaient des îles dominant le tumulte des flots.