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Allemands sur son territoire ! Une population plus considérable, que celle de plusieurs principautés germaniques s’offrait volontairement à coloniser les parties les plus reculées de l’empire et à fournir en même temps des troupes au tsar. En effet, les nouveau-venus paient généreusement leur droit d’aubaine : ils équipent pour l’empereur une armée de trente mille cavaliers, et vont combattre ses ennemis jusqu’en Turquie ; mais bientôt ils s’aperçoivent, que la Russie récompense leur bonne amitié par l’oppression : elle leur ravit systématiquement leurs immunités ; de libres alliés qu’ils étaient, elle les transforme peu à peu en sujets au moyen d’une pression administrative savamment organisée. Les Kalmouks comprirent que pour sauvegarder leur liberté ils n’avaient plus qu’à retourner dans la patrie de leurs ancêtres. Le 5 janvier 1771, le khan Oubacha se mit en route, suivi de près de quatre cent mille Kalmouks de tout âge et de tout sexe ; il déjoua l’armée russe envoyée à sa poursuite, contourna la Caspienne, la mer d’Aral, le lac Balkach, et atteignit enfin le territoire de la Chine après un voyage de huit mois. Le peuple s’étant évadé, il ne restait plus aux Russes qu’un désert. Aujourd’hui on compte à peine dans les steppes d’Astrakhan quinze mille familles de Kalmouks, c’est-à-dire au plus la sixième partie de la population qui s’y trouvait autrefois. La nation est remplacée par quelques hordes errantes et avilies, car les fugitifs ont emporté avec eux leur patrie et leurs dieux ; le lien qui réunissait les tribus en un corps de peuple est rompu, et ceux qui sont restés dans les steppes, opprimés, épars, dépaysés, plus exilés que leurs frères, ont perdu toute littérature nationale et jusqu’au souvenir des chants de leurs aïeux ; la civilisation originale qui se développait chez eux vers le milieu du XVIIIe siècle a disparu sans retour. Grâce au despotisme, la barbarie a repris l’empire le plus absolu sur ces peuplades asservies, et de nos jours l’instruction des Kalmouks les plus intelligens consiste à savoir écrire des prières et à les faire tourner dévotement sur une roue en l’honneur de Bouddha. Tel a été le résultat de la domination russe, et maintenant même n’assistons-nous pas à la dépopulation presque complète de la Crimée ? Pour éviter la loi du tsar, les Tatars Nogaïs vont demander asile à cette Turquie elle-même profondément démoralisée. Les Tcherkesses aussi abandonnent leurs montagnes par centaines et par milliers, afin de ne pas voir flotter près d’eux l’étendard moscovite.

Ce qui s’est passé sur la rive occidentale de la Caspienne se passe également sur la rive orientale. Après une première, et fatale expédition contre Khiva, les généraux russes, n’osant plus aventurer une armée dans une nouvelle campagne, employèrent un ingénieux moyen d’arriver lentement et sûrement à une conquête définitive. De