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qu’il est urgent de guérir chez les théologiens de nos jours. Leur mal est plutôt le mal contraire. Ce remède périlleux, je veux dire la critique et le doute, qui, prudemment administré, est profitable aux intelligences atteintes de superstition, on le prend aujourd’hui à haute dose ; on ne s’en sert plus comme d’un poison dont l’emploi discret peut produire des effets salutaires, on le boit comme l’eau vive qui doit rafraîchir les âmes altérées. Et pourtant, continue M. Henke, on voit à toutes les époques reparaître les mêmes maladies sous des formes différentes ; la paresse de l’esprit, la langueur dans l’amour et la recherche des choses divines, cette espèce de lâcheté morale qui nous rend sourds aux avertissemens de la conscience, ce sont là des vices propres à tous les temps. Et combien ces vices deviennent plus dangereux quand certains hommes viennent les ériger en vertus, quand ces mauvais conseillers persuadent à la foule ignorante que, bien loin de vouloir guérir ce mal, il le faut entretenir avec soin ! »

« Voilà notre mal, s’écrie encore M. Henke ; il a fait irruption de l’état dans l’église, et déjà une nouvelle barbarie nous menace. Comme cet empereur du VIe siècle qui, fermant les écoles de philosophie et ne laissant subsister que les monastères, crut avoir beaucoup fait pour la préparation des futurs ministres de l’église, certaines écoles de notre pays en sont venues à proclamer que ni le travail, ni le zèle, ni l’application aux études philosophiques et théologiques ne sont la vraie préparation au saint ministère. Où est-elle donc, cette préparation ? Apparemment dans l’habitude de vociférer avec passion et de calomnier avec audace ! C’est pourquoi ils condamnent la recherche ardente de la vérité, cette nourrice d’orgueil, et le désir de connaître les systèmes des penseurs, cette source d’inquiétude pour l’esprit. Oh ! que l’inertie vaut bien mieux ! Avec elle, ni mouvement d’orgueil à redouter, ni troubles intérieurs. Tout se réduit à un précepte unique : accepter avec soumission les formules proclamées par les hommes qui disposent du pouvoir au sein de l’église, et mépriser ceux qui veulent examiner ces formules, en un mot éteindre en soi l’amour de la vérité. Ce seul sacrifice équivaut à toutes les vertus et en expie l’absence. Le mal dont il s’agit a jeté de trop profondes racines sur notre sol pour qu’il soit possible de l’extirper du premier coup ; il peut arriver cependant, au XIXe siècle comme au XIIe que le livre d’Abélard y apporte quelque remède. Écrit dans une époque presque entièrement privée de ces ressources littéraires dont nous sommes si abondamment pourvus aujourd’hui, il nous offre les commencemens de plusieurs sciences tout à fait inconnues jusqu’alors, je veux dire la critique sacrée, l’histoire des dogmes, la théologie biblique, et enfin la dogmatique élevée sur cette triple base ; non-seulement donc il pourra recommander aux