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fixer l’attention. Necker y fait entendre sa pensée plus qu’il ne l’exprime. Librement élus, les états provinciaux pourront fournir un jour une partie des députés des états du royaume ou une assemblée générale intermédiaire. Que voulait-il dire en parlant ainsi ? Annonçait-il quelque chose d’analogue à ce qui existe aux États-Unis et en Suisse, où l’une des deux chambres forme une sorte d’assemblée fédérative à côté de celle qui représente plus directement l’unité ? Espérait-il par là vaincre sans secousse la résistance des dernières nationalités rebelles, comme la nation bretonne ou la nation provençale, ainsi qu’elles s’appelaient encore elles-mêmes ? La révolution a passé violemment le niveau sur ces diversités comme sur toutes les autres, mais à quel prix ? N’eût-il pas mieux valu garder plus de ménagemens pour les droits des provinces ? L’unité nationale, que Necker voulait tout comme un autre, aurait-elle perdu à s’imposer moins rudement ? Au lieu d’aller du centre aux extrémités, la vie unitaire aurait pu remonter des extrémités au centre. Paris n’aurait peut-être pas aujourd’hui deux millions d’habitans, mais la France entière en aurait plusieurs millions de plus, et le douloureux contraste qui éclate entre les provinces les plus voisines de la capitale et les plus éloignées nous serait épargné.

Même dans la déclaration du 23 juin, ce dernier effort du parti de la cour, l’institution des assemblées provinciales se trouvait expressément confirmée, tant les opinions les plus divergentes se réunissaient alors sur ce point. Les articles 17 et suivans entrent à cet égard dans les détails les plus précis. En même temps que le roi repoussait la réunion des ordres dans les états-généraux, il l’admettait dans les états de province. Il acceptait même implicitement la suppression des intendans en accordant (art. 20) qu’une commission intermédiaire choisie par les états administrerait les affaires de la province pendant l’intervalle des sessions, et que ces commissions, devenant seules responsables de leur gestion, auraient pour délégués des personnes choisies uniquement par elles ou par les états. Quand on relit aujourd’hui avec attention cette déclaration du 23 juin, on arrive à se convaincre que, si l’assemblée avait été plus sage que la cour, rien n’était encore désespéré. Outre la concession des états provinciaux, le roi admettait que les trois ordres des états-généraux pourraient, avec son approbation, convenir de délibérer en commun ; il supprimait les privilèges pécuniaires du clergé et de la noblesse, et posait en principe la liberté de la presse, l’abolition des lettres de cachet, la publication annuelle des recettes et des dépenses publiques, le vote de l’impôt par les représentans de la nation. Avec un ministre comme Necker et un roi comme Louis XVI, l’un qui désapprouvait hautement la partie comminatoire de la déclaration, l’autre qui ne s’y était prêté que par complaisance, on pouvait tout obtenir sans révolte ;