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mais les partis qui se sentent les plus forts ne savent pas plus que les rois s’arrêter à temps. Ce mot des révolutions, il est trop tard, mot fatal pour les princes qui l’entendent, mais non moins funeste aux peuples qui le prononcent sans nécessité, allait ajourner de vingt-cinq ans la liberté de la France et du monde.

Il ne peut entrer dans notre pensée de retracer pour la millième fois des événemens connus ; nous voulons seulement suivre en quelques mots, dans les travaux de l’assemblée constituante, la trace des administrations provinciales. Après les fameux décrets d’août 1789, qui supprimèrent les privilèges des provinces et des villes, aussi bien que ceux des ordres, la tâche devenait facile. L’assemblée n’avait plus à se heurter contre les obstacles qui avaient arrêté deux grands ministres. La discussion se prolongea pendant les derniers mois de 1789, et il en sortit la loi de janvier 1790, qui dure encore avec quelques modifications. Au lieu de quarante provinces, l’assemblée créa quatre-vingt-trois départemens, qu’elle divisa, à peu près sur les mêmes bases que le mémoire de Turgot et l’édit de 1787, en arrondissemens ou districts et communes ou paroisses, en y ajoutant une circonscription intermédiaire, le canton. Fort vantée par les uns et fort décriée par les autres, cette division de la France n’a pas eu le caractère révolutionnaire qu’on lui prête. Préparée de longue main par la monarchie, elle n’a détruit parmi les anciennes provinces que celles qui existaient encore, c’est-à-dire les pays d’états, et n’a fait à cet égard que réaliser un ancien projet de la couronne. Le roi et son ministre ne purent donc voir qu’avec satisfaction l’œuvre qu’ils avaient commencée menée à sa fin et l’unité du royaume accomplie.

Cette unité devait différer profondément de celle de Richelieu et de Louis XIV, en ce qu’elle reposait sur un ensemble de libertés, tant locales que générales, tandis que l’ancienne unité monarchique ne se manifestait que par la communauté d’oppression. On rendait ainsi impuissante la résistance des pays d’états, car on n’a pas besoin de privilèges contre la liberté. Que la division adoptée par l’assemblée fût la meilleure possible, c’est une autre question. Peut-être eût-il mieux valu s’en tenir aux quarante provinces préparées par Necker, comme s’éloignant un peu moins des faits existons. Peut-être au contraire eût-on pu adopter la division, proposée par Mirabeau, en cent vingt départemens, avec suppression des arrondissemens. On peut discuter aussi sur le plus ou moins de convenance des nouveaux noms. Cet enfantillage révolutionnaire, qui a substitué aux anciens noms des provinces des appellations tirées d’une montagne ou d’une rivière, n’a eu en lui-même ni avantages ni inconvéniens. Ce qui a fait véritablement le succès de la nouvelle organisation, c’est qu’elle réalisait ou que du moins elle promettait