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portes des deux villes où affluaient les tributs des provinces, l’administration despotique avait étouffé toute activité. À en croire les dénombremens, la population s’y était à peine accrue depuis Louis XIV. On a reproché à la formation des départemens de n’avoir pas suffisamment respecté les anciennes limites des provinces ; cette critique peut s’appliquer encore plus aux généralités. Celles de Châlons, d’Amiens, de Soissons, de Paris, se partageaient des fragmens détachés de la Champagne et de la Picardie ; la généralité de Paris avait même emprunté au Nivernais la pauvre et petite élection de Vézelay. Cette confusion permet difficilement de démêler les précédens historiques. Une portion au moins de la généralité de Paris avait eu cependant ses états particuliers, qui se réunissaient à Melun et qui duraient encore au commencement du XVIe siècle ; la coutume particulière qui régissait la province avait été votée par les gens des trois états en 1506.

C’est probablement à cause de ce souvenir, et sans doute aussi pour échapper à l’influence de Paris, que Melun fut choisi pour la réunion de l’assemblée provinciale. Cette assemblée se composait de quarante-huit membres. A la tête du clergé était le général des Mathurins, ordre qui possédait de grands biens à Paris ; les deux archevêques de Paris et de Sens et les autres évêques de la province ne figuraient point par exception parmi les membres. Dans la noblesse, on remarquait le duc du Châtelet, président ; le comte de Crillon, le marquis de Guerchy, le prince de Chalais, le vicomte de Noailles, MM. Molé et Talon, qui représentaient les familles parlementaires ; dans le tiers-état, les maires des principales villes, des avocats, des cultivateurs, et parmi ceux-ci M. Cretté de Palluel, maître de poste à Dugny, près Saint-Germain, un des membres les plus actifs de la Société d’agriculture de Paris, et dont Arthur Young parle avec les plus grands éloges.

Le duc du Châtelet, fils de la célèbre amie de Voltaire, créé duc en 1777, ancien ambassadeur en Autriche et en Angleterre, était alors colonel des gardes françaises, haute dignité militaire qui appartenait ordinairement à un maréchal. Le comte de Crillon, fils du duc de ce nom et arrière-neveu du compagnon d’armes d’Henri IV, avait le grade de maréchal-de-camp. Le vicomte de Noailles, second fils du maréchal de Mouchy et par conséquent frère du prince de Poix, était colonel des chasseurs d’Alsace, et passait pour un des meilleurs officiers de son temps ; beau-frère de La Fayette, il avait combattu avec lui sous Washington pour l’indépendance américaine. Ces trois hommes, placés par leur naissance au premier rang de la noblesse française, professaient les opinions les plus généreuses, et allaient en donner d’éclatantes preuves aux états de 1789.