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corde dans tous les lieux publics, tous les ennemis de l’ancienne cour, une immense populace accoutumée depuis une année à des succès et à des crimes, une foule de grands propriétaires qui n’osent pas se montrer parce qu’ils ont trop à perdre, la réunion de tous les auteurs de la révolution et de ses principaux agens, — dans les basses classes la lie de la nation, dans les classes les plus élevées ce qu’elle a de plus corrompu, — voilà Paris. Cette ville connaît sa force ; elle l’a exercée tour à tour sur l’armée, sur le roi, sur les ministres, sur l’assemblée, et une foule de décrets n’ont été que le fruit de son influence. » Mirabeau ne cessait dès lors de presser Louis XVI de quitter Paris et de convoquer ailleurs l’assemblée ; il avait d’abord désigné Compiègne ou Fontainebleau ; plus tard, il parla de la Normandie et enfin de la Lorraine.

On n’en était pas encore là en 1787, et l’avenir se montrait au contraire sous les plus belles couleurs. La plus importante des questions spéciales traitées par l’assemblée de l’Ile-de-France fut celle de la milice. Notre organisation militaire se divisait en deux parties, l’armée proprement dite, qui se recrutait par voie d’engagemens volontaires, et la milice, qui se recrutait par voie de tirage au sort. Cette dernière charge passait pour très lourde.

« Il y a 60,000 hommes de milice en France, dit Necker dans son Administration des Finances, et l’engagement est de six ans. Ainsi chaque année 10,000 deviennent miliciens par l’effet du sort. Tous les roturiers du royaume au-dessus de cinq pieds, et depuis seize ans jusqu’à quarante, participent à cette effrayante loterie, à moins qu’ils n’en soient exempts par des privilèges attachés à leur état ou au lieu de leur habitation. » Que dirait aujourd’hui Necker en voyant le temps de service porté de six ans à sept, et le contingent annuel de 10,000 hommes à 100,000? C’est le vicomte de Noailles qui lut à l’assemblée un mémoire sur cette question. Il y était tenu un compte curieux des pertes qu’entraînait tous les ans le tirage au sort. Dans la seule province de l’Ile-de-France, 25,000 hommes, obligés de se déplacer pendant trois jours, donnaient un total de 75,000 journées perdues, qui, à 25 sols chacune, valaient 93,750 livres. Chacun des appelés contribuant en moyenne pour 20 francs à une cotisation commune destinée à acheter des remplaçans, on arrivait à une nouvelle contribution de 500,000 livres, et ainsi de suite. M. de Noailles proposait, d’accord avec le duc du Châtelet, l’aholition du tirage au sort, qu’on aurait remplacé par un impôt destiné à payer des enrôlés volontaires. Tel fut en effet le système adopté par l’assemblée constituante dans son décret sur l’organisation de l’armée, mais il ne devait pas durer longtemps.

Plus on relit les documens de cette époque, plus on s’assure que