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toutes les ruines du passé ; il était faux que le tiers-état demandât seulement à être quelque chose, car il n’a pas tardé à se constituer en maître exclusif, et Sieyès lui-même y a pris la plus grande part. Mieux eût valu travailler à la réconciliation des ordres qu’à leur division ; mais le prévoyant chanoine avait senti où était la force, il s’apprêtait à la servir et s’en servir.

Lavoisier a eu moins de bonheur et d’habileté. Quand l’assemblée provinciale eut terminé sa session, il ne cessa de s’occuper activement des intérêts de la province. Les intempéries de 1788 ayant amené la disette qui servit de prélude à la révolution, il prêta à la ville de Blois une somme de 50,000 fr, pour acheter des blés et en dirigea si bien l’emploi que cette ville eut peu à souffrir. En 1791, quand l’assemblée constituante voulut se rendre compte de la richesse territoriale de la France pour asseoir, un juste système d’impôt, c’est lui qu’elle chargea de ce grand travail, et il s’en acquitta admirablement. Arrêté en 1793 et condamné à mort, il demanda en vain quelque jours de sursis pour terminer des expériences utiles à l’humanité ; il fut exécuté le 8 mai 1794, à l’âge de cinquante-un ans, pendant que son ancien collègue siégeait à la convention.

L’Orléanais a fait depuis cette époque à peu près les mêmes progrès que la Champagne. On y paie aujourd’hui deux fois plus d’impôts ; mais la plus grande partie se dépense dans le pays même, et un réseau de routes de terre, de voies navigables, de chemins de fer, y porte sur tous les points cette circulation du numéraire qui manquait autrefois et qui facilite l’acquittement des charges. La consommation de Paris, ayant plus que quintuplé, étend maintenant partout son action. La rive droite de la Loire, recevant de plus près l’influence de cette immense agglomération de capitaux, peut rivaliser de richesse avec les meilleures parties du territoire ; la rive gauche, beaucoup plus en retard, porte encore le triste stigmate que deux siècles d’épuisement lui ont imprimé ; mais elle s’en dégage peu à peu. C’est là surtout qu’il faut déplorer le peu de durée de l’assemblée provinciale. Si les principes économiques et politiques de 1787 et 1789, car ce sont bien les mêmes, avaient pu être appliqués sans interruption, la Sologne aurait maintenant effacé les dernières traces de son ancienne misère. Par les pas qu’elle a faits depuis quarante ans malgré bien des circonstances contraires, on peut juger de ceux qu’elle aurait dû faire auparavant, tandis qu’elle a reculé au lieu d’avancer pendant la période révolutionnaire. Le département de Loir-et-Cher, qui figurait pour 259,000 habitans dans le dénombrement de 1790, n’en comptait plus que 227,000 dans celui de 1821.

Léonce de Lavergne.