Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/718

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années à peine avant l’épanouissement du grand siècle, lorsqu’une société aristocratique par excellence se passionnait pour des fadeurs chevaleresques, pour un héroïsme dameret qui défigurait tout ensemble l’humanité et l’histoire, elle était dans le faux à sa manière, et ce faux ne valait pas mieux que le nôtre; elle méritait qu’une bonne et franche veine du véritable esprit français ou gaulois fît justice de ces nobles extravagances, que l’or de Molière, de La Fontaine et de Boileau démonétisât bien vite ce clinquant. Mais que dire du siècle suivant, du temps où les plus graves, les plus éminens penseurs enguirlandaient de roses artificielles ou fanées les œuvres de leur génie, où une aristocratie dégénérée encourageait de toutes ses faveurs le paganisme dans l’art, — le paganisme pris dans son sens le plus érotique et le plus frivole? Celle-là se heurta contre un châtiment plus sévère et eut à subir une réaction plus rude. La révolution fut une critique à main armée, qui força cette société corrompue à retrouver la vie dans la mort, et réveilla dans les âmes le spiritualisme par la douleur. Et cependant combien il fallut d’années pour démêler, dans cet idéal reconquis, ce qui n’était qu’emphase, mauvais goût, mode ridicule, regain de fausse chevalerie, et ce qu’il y avait de vivace, ce qui signalait le réveil de la pensée et de la liberté humaines? Plus récemment encore, quand une révolution radicale est venue remettre en question les plus précieuses de nos conquêtes, on a pu se demander si les folles connivences de la société avec les succès scandaleux d’une littérature oublieuse de toute règle et de tout frein n’avaient pas contribué à cette invasion subite des passions mauvaises, légalisées dans les rues après avoir été applaudies dans les livres.

Aujourd’hui c’est la démocratie qui tient le sceptre, et, quand on parle d’elle, il ne faut jamais oublier les leçons de l’homme éminent qui l’a si bien comprise, qui l’a sincèrement avertie de ses dangers, noblement aimée malgré ses fautes, et dont les conseils, applicables à l’ensemble de ses destinées, pourraient aussi s’appliquer à sa littérature. L’autorité de M. de Tocqueville doit désormais dominer tout le débat, et nous croyons ne pas nous éloigner de sa pensée en affirmant que, dans l’art comme dans la politique, l’avenir de la démocratie ne dépend que d’elle-même, du choix qu’elle fera entre ce qui déprave et ce qui purifie, entre ce qui relève et ce qui abaisse. Vivifiée par le spiritualisme, la démocratie peut accomplir de grandes choses : elle peut légitimer son avènement et ses conquêtes, prendre rang parmi ces pouvoirs que l’on ne conteste plus et qui finissent par s’assimiler des élémens longtemps réfractaires. Acclimatée à ce matérialisme qu’elle aspire par tous les pores et dont elle ferait à la fois l’arbitre de ses travaux et de ses plaisirs, elle ne pourrait