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ment ultramontain de la France a eu pourtant une raison dont on ne saurait méconnaître la légitimité. C’est pour défendre la liberté du spirituel contre les empiétemens du pouvoir temporel que l’église de France est devenue ultramontaine. Avant 1789, l’église avait en France dans sa constitution des garanties d’indépendance envers le pouvoir qui lui font aujourd’hui défaut : les immunités dont elle jouissait vis-à-vis du pouvoir lui permettaient de garder vis-à-vis de Rome cette attitude indépendante et respectueuse que l’on définissait par le nom de gallicanisme. La révolution et surtout les gouvernemens qui en sont sortis ont profondément altéré cette situation. L’église a cessé d’avoir les conditions matérielles de l’indépendance ; elle a même perdu quelques-unes des conditions morales de sa liberté, en se trouvant annexée à la centralisation administrative exagérée qu’ont organisée la république et l’empire. Par une réaction naturelle, l’église de France, jalouse de son indépendance, en a cherché la revendication en s’unissant de plus en plus à une centralisation d’une autre nature, qui absorbe dans l’autorité de la cour de Rome l’ancienne autonomie des églises particulières : elle s’est faite ultramontaine. L’excès a appelé l’excès ; mais si l’on veut être juste, si l’on veut sincèrement se rendre compte du mouvement qui a fini par s’emparer du clergé et des apologistes laïques du catholicisme en France, il faut en voir où nous les signalons la cause et l’origine. L’ultramontanisme français a eu pour cause véritable le souci de l’indépendance de l’église : en exaltant à outrance l’autorité de Rome, en exagérant toutes les prétentions de la papauté, l’ultramontanisme au fond poursuivait à sa manière, suivant le tour de la circonstance et l’impulsion du moment, l’accomplissement de la convention sur laquelle repose le christianisme, convention qui sépare le spirituel du temporel et réclame l’indépendance de l’église, convention divine et sainte suivant les uns, mais auguste pour tous, car elle a introduit dans la civilisation moderne un souffle impérissable de liberté.

Nous nous exposons à être accusé de soutenir un paradoxe en attribuant au désir généreux d’assurer l’indépendance du spirituel les progrès que l’ultramontanisme a faits dans ce siècle au sein du clergé français. Nous avons pourtant le sentiment que nous sommes dans l’exacte vérité. On ne perd rien, quand on recherche soi-même avec désintéressement la vérité dans la discussion, à reconnaître les nobles mobiles qui seuls peuvent entraîner des multitudes d’esprits et susciter de grands mouvemens d’idées. Si l’on tient à comprendre la position des catholiques français dans la question romaine, la justice veut que l’on aille encore plus loin.

Cherchant dans la papauté la garantie de leur indépendance re-