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ment l’étendue, mais qui grandit et se rapproche, et qui pourrait un jour tout remettre en question après avoir tout détruit.

Il y a douze ans à peine, débutait dans le Kouang-si, l’une des provinces méridionales de l’empire chinois, le mouvement insurrectionnel qui devait bientôt imprimer de si violentes secousses aux bases déjà chancelantes de cet antique édifice, et ses humbles commencemens n’en pouvaient faire soupçonner la grande fortune. Ce fut d’abord en apparence un simple mécontentement local, une de ces émeutes de village que de temps immémorial les autorités chinoises avaient à prévoir et à combattre. Quelque injustice commise contre le chef respecté d’une puissante famille, une rivalité de corporations ou de clans, la réunion fortuite d’un certain nombre de gens sans aveu et sans ressources, font naître parfois de semblables agitations. Le don opportun d’une grosse somme d’argent ou d’un bouton officiel leur enlève leurs chefs, achetés et satisfaits, les désorganise ainsi et les apaise. Cette fois le gouvernement se trouvait aux prises avec un élément de désordre qui déroutait sa vieille expérience. Le mal était évidemment nouveau, et ne pouvait être vaincu par les moyens ordinaires. En quelques mois, il avait fait d’immenses progrès et s’était attaché au sol de l’empire par de si nombreuses racines, qu’on n’en pouvait découvrir toutes les ramifications et qu’elles défiaient déjà le tranchant de la hache officielle. Les provinces du Hou-nan, du Hou-pé, du Kiang-si, du Kiang-sou, du Ho-nan, du Ghan-tong, les plus industrielles, les plus fertiles, les plus riches et les plus lettrées de la Chine, étaient envahies, parcourues, dévastées. L’habileté des plus vieux diplomates de l’empire était mise en défaut, les efforts de ses plus vaillans généraux étaient déjoués ; la Gazette de Pékin enregistrait déceptions sur déceptions, revers sur revers. Au mois de mars 1853, Nankin était pris d’assaut, et la résistance des troupes tartares qui défendaient cette ville étouffée dans le sang. Le chef de l’insurrection venait ainsi de porter une main sacrilège sur l’un des plus beaux fleurons de la couronne impériale. En face de la domination mandchoue et du trône de Hienn-foung, il avait jeté les bases d’une restauration chinoise et fondé un trône rival. — Deux mois plus tard, ses bandes poussaient jusqu’à Tienn-tsin ; elles campaient à trente lieues de Pékin. L’insurrection embrassait la Chine proprement dite presque tout entière ; elle avait atteint le centre de la province du Tchi-li, sans avoir abandonné le Kouang-si, promenant pendant trois ans ses sanglans triomphes d’une extrémité de l’empire à l’autre.

Ces succès inouïs frappèrent d’étonnement les étrangers qui résidaient alors en Chine et que leurs affaires ou leurs fonctions avaient fixés dans les cinq ports ouverts par les traités ; mais ce qui semblait