Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/811

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
809
LE PAVÉ.

Louise.

Pardon, monsieur, je vous en ferai un bon serviteur, car il est doux, courageux, de bonne volonté, et il vous aime. C’est bien quelque chose !

Durand.

Oui, sans doute, il a de bons instincts ; mais il ne sortira jamais de la vie d’instinct.

Louise.

Et quel besoin avez-vous d’un savant pour vous servir ? Est-ce que je ne suis pas là pour réparer ses petites gaucheries ?

Durand.

Oh ! toi, Louise, c’est autre chose ! Tu as une belle mémoire, une docilité admirable. C’est un plaisir de t’enseigner quelque chose. Tu es beaucoup pour moi, ma chère Louise. Tant de soins, d’attentions ! Être servi comme un prince, dorloté comme un enfant, compris par quelqu’un qui s’intéresse à vos travaux, qui se prête à vos innocentes passions… Eh bien ! qu’est-ce que tu as ? Tu es triste ?… À quoi penses-tu ?

Louise.

À rien, monsieur, je regardais ce pavé, c’est une belle pièce.

Durand

N’est-ce pas ? Figure-toi qu’il y a là une dent fossile… Je m’imagine qu’il y aura une mâchoire entière, et que ce pourrait bien être le… Mais tu ne m’écoutes pas, tu parais souffrante !

Louise.

Non, monsieur.

Durand

Si c’était ce que je pense,… ce serait une rareté… Mais tu es triste, et cela m’ôte la joie du cœur. Tu travailles trop, je parie !

Louise.

Moi ! Il me semble au contraire que je ne fais rien pour vous payer de vos bontés. Après ce que vous avez fait pour moi, m’élever, m’instruire, me traiter toujours si doucement, avoir recueilli et soigné ma pauvre mère jusqu’à son dernier jour… Ça, voyez-vous, une pauvre femme que tout le monde repoussait et que vous m’avez appris à aimer et à respecter malgré tout le monde… Après une chose comme ça, si je n’avais pas bonne envie de vous servir et de vous soigner quand vous serez comme elle vieux et infirme…

Durand.

Moi ? je ne serai jamais infirme. Avec la vie active et sage que je mène…

Louise.

Tant mieux ! Mais je voudrais que vous eussiez besoin de moi : vous verriez si je me souviens !