Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/812

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
810
REVUE DES DEUX MONDES.

Durand.

Toi ! tu es un ange, et je suis loin d’avoir fait pour toi ce que j’aurais dû faire. Je t’ai vraiment négligée jusqu’à présent. Je ne voyais pas combien tu es intelligente. Je te traitais comme une paysanne ordinaire. Je te tenais à distance, derrière la porte pour ainsi dire, me persuadant que c’était assez de t’assurer le bien-être matériel, ne devinant pas que ton esprit avait besoin de culture et qu’un jour je pourrais causer avec toi comme avec une amie. Oui, oui, je mérite des reproches. J’ai été absorbé par mes livres, et il n’y a pas plus de deux ou trois mois que j’ai commencé à t’apprécier, à t’écouter, à te regarder !…

Louise, à part.

Ah ! comme j’ai eu tort de ne pas rester derrière la porte !

Durand.

Pourquoi rêves-tu quand je te parle ? Ne vois-tu pas que j’ai à cœur de réparer ma négligence ? Ne te dois-je pas cela ? Ne m’as-tu pas fait un bien immense ? Tu m’as ouvert le cœur à l’amitié, à un sentiment plus doux encore, que sans toi je n’aurais jamais connu, le sentiment paternel ! C’est vrai, cela. Vieux piocheur, je me serais desséché, pétrifié avec mes cailloux, n’est-ce pas ? Je serais devenu sombre, hypocondriaque, insupportable ! Ça commençait. J’avais des momens d’humeur, même avec toi. Tu dis que j’ai toujours été bon ! Tu oublies que bien souvent je t’ai traitée de niaise et d’étourdie ; mais ça ne m’arrivera plus, va, je t’en réponds !

Louise, à part.

Hélas ! tant pis.

Durand.

Non, non !… Je n’aurai plus la folie,… je n’aurai même plus la pensée de te faire pleurer, pauvre enfant ! J’ai ouvert les yeux. J’ai reconnu… Oui, je pensais à cela tantôt en revenant ici.

Louise.

Vous pensiez trop. Vous avez laissé votre sac de voyage au beau milieu de la route !

Durand.

Méchante, tu me grondes. Que veux-tu ? je pensais à toi. Je me disais : Une femme douce, instruite et charmante est un trésor dans une maison, un rayon de soleil dans la vie d’un pauvre ermite !… Qu’ai-je besoin d’aller chercher une compagne à la ville, quand tout près de moi ?…

Louise.

Ah ! vous aviez l’idée de vous marier ? Votre voisin me l’avait dit. Eh bien ! est-ce que vous y renoncez ?