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LE PAVÉ.

faux ! Monsieur est un homme raisonnable, et tu le prends pour un fou ; c’est un homme qui a de l’esprit plus que toi et moi, et tu le prends pour une bête ; enfin monsieur est le plus honnête homme que la terre ait jamais porté, et tu t’es mis dans l’idée qu’il avait de mauvaises idées sur toi ? Tiens ! ça me fâche, ça me met en colère !… Si un autre que toi me disait ça, il aurait déjà mon poing sur la mâchoire !

Louise.

Allons ! tu ne comprends donc pas encore ? Je te dis que monsieur a certainement l’idée de m’épouser. Est-ce que, sans cela, il serait jaloux de moi ? Non, va ! je le connais aussi bien que toi : c’est le plus grand cœur d’homme que le bon Dieu ait fait, et jamais il ne m’empêcherait d’aimer quelqu’un d’honnête, s’il n’était pas décidé à me prendre pour sa femme !

Coqueret.

Eh bien ! ça n’est pas vrai, Louise, ça ne se peut pas ! Songe donc ! Monsieur t’aurait donc élevée comme ça à la brochette pour te dire un beau matin : Te voilà jeune fille et me voilà vieux homme, tu vas me payer mes bontés, mes soins, tout ce que j’ai fait pour toi,… c’est-à-dire pour moi, puisque je t’ai élevée pour moi,… et tu ne pourras pas me refuser, car j’ai été bon pour ta mère, et je te prendrai par le plus sensible de ton pauvre cœur, et encore que tu aimes le petit Jean, faudra l’oublier pour n’aimer que moi. Non, non ! Louise, ça serait d’un égoïste, et, mordieu ! monsieur ne l’est pas. Va-t’en le trouver, dis-lui que tu m’aimes, et tu verras. Oui ! j’en mets ma main au feu, monsieur te dira : « Louise, je n’ai eu qu’une idée en te prenant chez moi, c’est de te rendre heureuse, et si tu pensais le contraire, cela serait un affront et une injustice que tu me ferais. » Voilà ce que monsieur te répondrait, si tu avais le courage de m’aimer franchement ; mais tu ne m’aimes pas assez pour l’avoir, ce courage-là, et peut-être que l’ambition te tire par un bras pendant que l’amitié te retient par l’autre.

Louise.

Eh bien ! non, Jean, ça n’est pas comme ça ! Je n’ai point d’ambition, et j’étais entre deux amitiés sans savoir à laquelle entendre ; mais ce que tu viens de me dire change mes idées, et je vois que tu n’es en rien au-dessous de monsieur, puisque tu ne veux pas douter de lui. Qui sait même si ce n’est pas lui qui est pour le moment au-dessous de toi ?… Tu as bien parlé, Jean, tu vaux mieux que moi, et c’est pour ça que me voilà décidée. Va-t’en m’attendre au jardin, je veux lui parler tout de suite, et, sois tranquille, je ne craindrai plus tant de lui faire de la peine. Tu m’as fait comprendre que, s’il ne surmontait pas cette peine-là, il ne serait plus lui-même, et ne