Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/848

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pente rapide de l’empire, qui, à travers la toute-puissance, le menait si vite au dénoûment de Sainte-Hélène. Quoi qu’il en soit, vous ne trouvez dans ses récits aucune trace du second intervalle de sa carrière. Le long espace compris entre 1800 et 1815, c’est-à-dire tout l’empire, reste vide dans ses Mémoires, comme s’il eût tenu voilées les victoires déjà trop achetées d’Essling, Wagram, Friedland, la Moscova. Sans doute, ces journées approchaient trop de la catastrophe ; elles la lui dissimulaient trop mal. Et c’est la raison pour laquelle il s’est attaché exclusivement dans son récit aux deux époques extrêmes de sa vie : à la première parce qu’il y goûtait une gloire sans ombre et sans appréhension, à la dernière parce qu’il y avait trouvé sa ruine, et qu’il fallait s’en justifier devant lui-même et devant la postérité.

Aussi la campagne de Waterloo a-t-elle pris une grande part dans ses travaux d’historien. Après le long silence gardé sur tout l’empire, il est revenu à diverses reprises sur cette campagne. Il en a fait au moins deux relations achevées, sans compter les versions qui ne sont pas venues jusqu’à nous. La première de ces relations a été rapportée de Sainte-Hélène par le général Gourgaud ; elle a même paru sous son nom. C’est elle qui a fixé l’opinion sur cette matière. Tous les faits que cette relation a avancés ont été admis sans contrôle. Tous les hommes qu’elle a accusés sont restés condamnés sans examen. La foule, le peuple, les gens du monde, les écrivains, les historiens ont été saisis de la même passion de crédulité et quelquefois d’injustice. Personne, pour ainsi dire, n’en est revenu encore, tant un grand capitaine qui écrit son apologie est d’abord invincible ! car, à la première lecture de ces pages nerveuses, hâtives, impérieuses, qui flétrissaient la fortune, il n’est aucun de nous qui n’ait reconnu la main d’où elles sortaient, et qui ne se soit écrié : C’est lui !

Cependant cette première relation, ardente encore du feu de la bataille, n’était qu’un premier jet, une ébauche de Napoléon. W a fait une seconde histoire de la campagne de 1815, et cette fois lentement, revenant, avec une patience dont on ne l’eût pas cru capable, sur le fond et sur la forme des choses. Que ceux qui ont avancé qu’il s’inquiétait peu des conditions de l’écrivain l’ont mal connu ! Plût à Dieu qu’il n’eût pas possédé cet art dans sa plénitude ! Il eût moins aisément ébloui la postérité sur ses fautes, il eût laissé une plus entière liberté de jugement, car pour le coloris, pour la force d’exposition, le mouvement, l’art de surprendre la raison, de convertir en drame les incidens de la stratégie. Napoléon n’a point de maîtres. Comment m’étonnerais-je de l’éblouissement que cette narration a causé ? Toutes les fois que je la relis, la grandeur majestueuse du récit, l’émotion des détails, le pathétique des choses, me