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entier qui n’a jamais été trompé ! Ce sera le silence d’un peuple qui attend un vengeur ; et comme la haine et non l’amour sera le principal mobile des actions, la concorde ne se montrera qu’un moment. Tous seront unis jusqu’à ce que le gouvernement imposé soit renversé ; celui qui doit le détruire ne trouvera point d’obstacles. Les difficultés ne recommenceront pour lui que lorsqu’il sera redevenu le maître.

Cependant au congrès de Vienne les empereurs de Russie, d’Autriche, les rois, les princes, les plénipotentiaires de tous les états d’Europe refaisaient, parmi les fêtes, la carte du monde. L’Angleterre, la plus avide, se payait, sur tous les rivages, de ses subsides, par Malte, le Cap, l’Île-de-France. La France perdait ses frontières du Rhin ; elle restait ouverte à la Prusse, à l’Autriche, à la Bavière. La Pologne disparaissait, quoiqu’on lui laissât son nom ; l’Italie était rendue à l’Autriche, la Sicile à Naples, les Espagnols étaient livrés poings liés à Ferdinand VII. Et dans cet abandon de tout droit c’était le peuple le plus libéral, — les Anglais, — qui exigeait comme sa récompense la servitude du monde. Ceux-là surprirent par leur facilité à oublier leurs promesses. Toute leur haine se montra quand on les vit, eux puissance protestante, demander impérieusement que la France fût soumise au bras séculier du catholicisme sans mélange de liberté pour les autres cultes. L’aversion fut ce jour-là plus sincère que la foi. Un si grand désir de nuire et d’offenser sous des paroles pieuses étonna, quoiqu’on s’y attendît. Au reste, dans cette paix encore sanglante, un point semblait menacer. Cachée dans les flots, l’île d’Elbe effrayait par le voisinage. Quelques-uns cherchaient un lieu de proscription qui ne pût être aperçu d’aucun rivage ; ils avaient déjà prononcé le nom de Sainte-Hélène.


VI. — RETOUR DE L’ÎLE D’ELBE. — L’ACTE ADDITIONNEL.


« Napoléon a débarqué à Cannes le 1er mars ! » J’entends encore à mon oreille le retentissement de ces mots la première fois qu’ils furent prononcés devant moi. Pendant quelques jours, les nouvelles restèrent interrompues. On ne savait que penser, lorsqu’on apprit que l’empereur était à Grenoble, et presque aussitôt à Lyon, à Mâcon, à Châlons. On le sent passer invisible à quelques lieues comme un tourbillon qui entraîne tout après soi. Les détachemens, les bataillons, les régimens que l’on voulait éloigner de lui s’arrêtent, ils se retournent, ils ont changé de cocarde, ils rentrent dans son orbite. Ce fut une force d’attraction irrésistible, aveugle ; l’étonnement d’abord, puis l’éblouissement, puis l’admiration nous conquirent presque tous au même moment.

Mais ce moment fut court ; il dura aussi longtemps que la marche