Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/858

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Était-ce en effet pour Napoléon une nécessité de se réconcilier en 1815 avec la liberté ? Le devait-il ? le pouvait-il ? Au lieu de convoquer les chambres, que ne se contentait-il de réunir les armées ? Qu’avait-il à gagner à changer sa nature ? Y réussirait-il ? Était-il sage, après avoir désespéré quinze ans les amis de la liberté, de les prendre pour appui ? N’était-ce pas tout perdre que de renoncer au pouvoir absolu, qui avait été jusque-là la règle de sa vie ? Toutes les fois que Ces questions et d’autres de ce genre se sont présentées à l’esprit de Napoléon, il a renvoyé pour y répondre à ce qu’il appelle le livre X de ses Mémoires, où ces matières, dit-il, sont approfondies et longuement traitées ; mais ce livre X, qui devait contenir le secret de sa pensée, où est-il ? Il n’existe pas. Napoléon n’en a pas écrit une seule ligne. Pour savoir ce qu’il devait contenir, nous sommes réduits à nos seules conjectures.

Aujourd’hui que nous avons appris combien les hommes aiment à se payer d’apparence, combien ils préfèrent les mots aux réalités, nous devons être étonnés que la constitution donnée par Napoléon sous le nom d’acte additionnel ait été si mal accueillie par les contemporains. Il semble qu’ils eussent dû savoir gré de ses concessions à un despote qui revenait de si loin, puisque tous les mots qui servent à prendre les hommes sont prodigués à chaque ligne de l’acte additionnel. Quelques historiens ont cru que le mal est venu de certaines dispositions particulières qu’il eût été facile de changer. En cela, ils se trompent. L’acte additionnel eût été la plus parfaite des constitutions, que la répugnance du public eût été à peu près la même, car cette répugnance se propageait de bouche en bouche, sans examen ; tel qui était le plus opposé à la charte bonapartiste n’en avait pas lu une ligne.

Ce n’est point l’œuvre qui inspirait le doute, le soupçon : c’était l’auteur. De quelque formule de liberté qu’il eût fait usage, l’incrédulité fût restée la même, parce qu’un certain bon sens disait à tous que le despotisme ne se corrige pas. Plus ses promesses eussent été magnifiques, plus on eût refusé de croire qu’il devait les tenir. Ainsi ce n’était point l’acte qui blessait, mais l’homme qui n’avait pas qualité pour le faire. Il était trop visible aux plus simples que le maître de 1809, de 1810, de 1811, ne pouvait devenir un roi débonnaire. En dépit de sa volonté, cette impossibilité éclatait à tous les yeux, aussi bien qu’à lui-même. Dans la charte de liberté, on s’ingéniait à voir une machine de servitude, et cela ôtait toute force à la situation ; il n’en pouvait sortir aucun principe d’énergie et de salut public. Bien au contraire, ce jeu, si ce fut un jeu, ne renfermait que des périls. Si ces générations de 1815, enthousiastes du grand capitaine, restèrent sévères et incrédules pour le maître converti, s’il lui fut impossible de les éblouir par l’apparence, si elles