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avril, un décret ordonne la formation de trois mille cent trente bataillons de garde nationale qui devront donner 2,250,000 hommes. Ce décret fit une profonde impression sur l’étranger. On crut revoir la France se soulever tout entière encore une fois contre l’Europe ; mais soit que cette levée en masse fût impossible à effectuer, soit que les moyens de l’armer manquassent, soit aussi que cet appel direct à la nation se trouvât trop contraire au tempérament de l’empire, ces grandes mesures furent presque aussitôt abandonnées que prescrites. Il est certain que pendant que les rois de la vieille Europe se confiaient pleinement à leurs peuples et appelaient chez eux la levée en masse dans la landsturm Napoléon, qui se disait l’empereur de la démocratie, ne voulut pas mettre sur pied la masse même de la nation : il craignait de ne plus pouvoir la régir. Les trois mille cent trente bataillons, épouvantail un moment de l’Europe, se réduisirent en mai à la mobilisation de quatre cent dix-sept bataillons. Ceux-ci formèrent seulement une réserve de 146,880 gardes nationaux, destinés à la défense des places fortes de l’est.

On sait en quelles masses irrésistibles s’étaient levés les Français en 1793, en 1794. On avait vu quelque chose de semblable en Prusse en 1813. Par la landwehr, l’armée avait été augmentée en quatre mois de 150,000 hommes[1]. Après 1812, l’armée française, en sept mois, avait été augmentée de 200,000 hommes, après Leipzig, en trois mois, de 150,000 hommes. On n’atteignit pas ces chiffres en 1815. L’effectif de l’armée sous la restauration était de 155,000 hommes disponibles, prêts à entrer en campagne. Ce même effectif fut porté sous Napoléon à 198,000 hommes. L’armée de ligne n’avait donc été augmentée que de 43,000 hommes pendant les deux mois et demi que Napoléon avait eus pour se préparer à la lutte suprême. Ce résultat est loin des états de situation qui se trouvent dans les écrits de Sainte-Hélène ; il est loin surtout des prodiges que la révolution française avait accomplis, lorsqu’elle avait été obligée de tout créer de rien en quelques jours.

Pour répondre d’avance à cette comparaison inévitable. Napoléon affirme que si la révolution eût été attaquée comme lui par un million d’hommes, elle eût été vaincue comme lui. Cette supposition se détruit d’elle-même. La révolution française ne pouvait, dans aucun cas, déchaîner contre elle un million d’ennemis ; elle n’avait soulevé que les cabinets ; elle n’avait pas réuni contre elle aux passions des princes les passions des peuples, qui maintenant produisaient d’eux-mêmes comme un déluge d’hommes.

Napoléon fut-il dès lors au-dessous de sa tâche ? Quelques-uns l’affirment avec autorité. Je lis dans l’historien le plus récent que

  1. Voyez Carl von Clausewitz, Der Feldzug von 1815, p. 5.