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Au reste, la prévoyance du chef va au-devant de ces motifs de crainte. En mêlant dans le même corps les brigades anglaises, hollandaises, belges, hanovriennes, saxonnes, et en les faisant combattre les unes à côté des autres, il empêchera qu’aucun esprit de race ne prévale, excepté celui de l’Angleterre, qui contiendra de sa forte discipline tant d’élémens divers. Le grand nom d’Orange lui répond de la fidélité de tous les Néerlandais. Quant aux autres, s’il y a encore des incertains, la nécessité, le danger, l’impossibilité du retour, surtout la rapidité de l’attaque, les décideront bientôt.

L’unité, qui manquait à l’armée anglaise, se trouvait au plus haut degré dans l’armée prussienne. Là tout est Allemand de langue, de cœur, de passion. Cette armée de 124,074 combattans, partagée en quatre corps, le premier sous Ziethen, le second sous Pirch, le troisième sous Thielmann, le quatrième sous Bulow, comptait cent trente-six bataillons, cent trente-neuf escadrons, trois cent douze bouches à feu. On peut remarquer dans cette distribution de l’armée l’absence d’une réserve générale, comme si tout était donné à l’impétuosité de l’attaque, et rien à la temporisation.

Il y avait un grand nombre de gardes nationales mobilisées sous le nom de landwekr. Dans ces troupes, qui avaient fait la campagne de Leipzig et de France, le sombre enthousiasme des années 1813, 1814, allait jusqu’à la fureur. La vengeance semblait un devoir, car toute l’Allemagne les avait chargées de venger ses hontes, et le général en chef, le feld-maréchal Bliicher, partageait les passions du soldat ; il les exagérait encore. Ses soixante et dix ans n’avaient attiédi en rien son ardeur. Au contraire, l’âge redoublait en lui l’impatience de représailles et de renommée. Il serait difficile de dire s’il y avait en lui plus d’enthousiasme pour la patrie allemande ou plus de haine pour la France. Je crois pourtant que la haine l’emportait. Dans tous les cas, il était l’opposé du duc de Wellington. Violent, effréné, immodéré dans l’attaque, toujours prêt à tourner ses revers en victoire, il s’était familiarisé sur les champs de bataille de Lutzen, de Bautzen, de Leipzig, avec la tactique de Napoléon, dont il imitait au moins l’élan, la rapidité, l’impétuosité, ce qui lui avait fait donner par ses soldats le surnom de maréchal En avant.

Avec des qualités si opposées dans les deux chefs d’armée, on peut présumer qu’ils se contrarieront l’un l’autre. De cette profonde différence sortiront des incidens dont Napoléon ne manquera pas de s’emparer ; mais au contraire, s’ils s’entendent, si la même passion les réunit, que ne pourra la circonspection de l’un, aiguillonnée par l’impétuosité de l’autre !

Telles étaient les deux armées de Wellington et de Blûcher. Voici celle que leur oppose Napoléon : le juin, l’armée du Nord