Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/885

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et là, les bras tendus vers elles, s’écriant avec désespoir : « Ce n’est pas ma faute si je ne puis saisir le soleil ! ce n’est pas ma faute si je ne puis transporter sur ma toile le divin éclat qui complétait l’harmonie ! Mon rôle était d’admirer et de témoigner, de vous dire fidèlement : Il y avait cette note, puis cette note, puis cette autre. Que votre imagination fasse le reste ! J’aurais menti si, au lieu de l’ineffable effet, je m’étais permis de composer une autre harmonie. »

Je n’entrerai pas longuement dans l’application que M. Ruskin a faite plus tard de ces idées à la grande peinture. Je dois seulement faire remarquer que les vraisemblances et les convenances qui distinguent Raphaël des peintres primitifs n’ont rien de commun avec l’exactitude historique que M. Ruskin entend glorifier. C’est au contraire à Raphaël, « à l’artiste qui, en peignant son Parnasse présidé par Apollon, écrivait sur les murs mêmes du Vatican l’apostasie religieuse de la peinture, » qu’il fait commencer la révolution qui a détrôné l’art de la vérité pour le remplacer par l’art des poses et du beau mensonge. Les peintres du moyen âge, remarque-t-il, n’avaient visé qu’à raconter les événemens comme ils s’étaient passés, et leurs symboles conventionnels étaient une preuve de plus de leur véracité. Le meilleur moyen pour eux était celui qui expliquait le mieux ce qu’ils croyaient vrai à l’égard des faits et des objets…


« Du moment, ajoute-t-il, que la seule ambition des peintres était de déployer leur savoir-faire, de se montrer experts dans la science de l’anatomie, du clair-obscur et de la perspective ; du moment qu’ils se servaient de leur sujet pour faire valoir leur exécution, au lieu d’employer leur exécution à faire valoir leur sujet, il était naturel qu’ils dédaignassent les brillans enfantillages de la peinture primitive, ses ornemens d’or bien brunis, ses couleurs vives soigneusement étendues en teintes plates. Ils n’avaient plus d’émotion religieuse à exprimer ; ils pouvaient penser froidement à la madone comme à un admirable prétexte pour introduire des ombres transparentes et de doctes raccourcis… Ils pouvaient la concevoir, même dans son agonie maternelle, avec un discernement académique, esquisser d’abord son squelette, le revêtir avec la sévérité de la science des muscles de la douleur, puis jeter sur la nudité de sa désolation la grâce d’une draperie antique et compléter par l’éclat étudié des larmes et par une pâleur finement peinte le type parfait de la Mater dolorosa. — Avec une manière aussi scientifique d’élaborer un sujet, il fallait bien que l’artiste eût aussi plus de respect pour la vraisemblance. Il le fallait précisément pour qu’il pût faire ressortir tout son talent. Les convenances, l’expression, l’unité historique et toutes les autres décences devinrent donc pour le peintre des obligations du même genre et au même titre que la pureté de ses huiles et la justesse de sa perspective. On lui répéta que la figure du Christ devait être digne, celle des apôtres expressive, celle de la Vierge pudique, et celle des enfans innocente, et conformément aux nouveaux canons les peintres se mirent à fabriquer des combinaisons de sublimité apostolique, de douceur