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Pour résumer sèchement son esthétique pratique, il a voulu dire que nous nous sommes entièrement trompés en pensant qu’il fallait nous guider sur des règles, des principes de style, des manières de faire, et que ce qui nous perdait était précisément cette impuissance à voir que les connaissances et les aptitudes spéciales de l’artiste sont simplement ses moyens. Il a voulu dire qu’au lieu de concentrer notre esprit sur les tableaux, au lieu de nous borner à rechercher ce qui pouvait être d’un bon effet sur une toile, il fallait au contraire faire affluer dans nos tableaux la vie de tout notre être, et qu’en dernier terme, notre imagination de peintre n’aurait jamais que la portée de nos pensées, le sérieux de nos affections, la noblesse de notre conscience. Il a voulu dire enfin que le secret du triomphe ou de la défaite n’était pas dans un code de bonnes ou de mauvaises recettes, mais dans le caractère moral, dans les bons et les mauvais mobiles qui du fond de notre cœur gouvernent à notre insu toutes nos facultés, les facultés plastiques aussi bien que les autres. Et je crois qu’en cela il a été plus près que d’autres de mettre le doigt sur le vrai principe de tout génie et sur le vrai principe de toute impuissance. Il se trompe en tant qu’il juge des conditions que les tableaux eux-mêmes doivent remplir, il se trompe très gravement lorsqu’il conclut que les idées abstraites de notre intelligence ou les sentimens purement moraux de notre conscience sont ce que la brosse doit directement exprimer ; mais il a raison de croire qu’on n’est pas artiste à moins d’être d’abord un penseur et une nature généreuse. Il en est du peintre comme du poète : c’est ce que son esprit découvre et ce qui fait battre son cœur, c’est la part qu’il prend à tous les faits de ce monde qui seule peut féconder son talent. Chaque idée de son intelligence a pour contre-coup une idée de forme ou de couleur : chaque ébranlement ou chaque élan de ses affections détermine une émotion et une inspiration analogues dans ses facultés plastiques. Son génie de peintre n’est que l’écho par lequel son âme de peintre répond à toutes les vibrations de ses autres facultés. Et quant à l’influence qu’exercent les qualités et les défauts du caractère proprement dit, c’est toujours là qu’il en faut revenir. Après tout, comme le dit M. Ruskin, il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais pour l’art que deux sources possibles : l’amour des œuvres de Dieu ou l’amour-propre, — le besoin de rendre hommage à quelque chose qui n’est pas nous, ou le désir de nous faire valoir nous-mêmes. Et de ces deux inspirations, celle qui a fait trouver tout ce que le monde a jamais connu de vrai, de beau et de bon est facile à nommer. Ainsi qu’il le dit encore : soyez musulmans, soyez chrétiens, mais croyez à quelque chose au-dessus de vous-mêmes. Comme l’Égyptien, adorez un faucon, et vous le peindrez comme ne le pein-