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digne fille de sa mère, de sa mère si aimable et si douce, au dire de quiconque l’avait connue, par exemple son affection pour la vieille Sophy, affection réelle, profonde, — sympathie si vraie qu’elle n’avait plus besoin de paroles pour s’exprimer, et que ces deux êtres, si différens l’un de l’autre, communiquaient à volonté par de simples regards, de même le sentiment de bien-être qu’elle semblait éprouver à savoir Helen auprès d’elle, — non qu’elle lui accordât beaucoup de confiance, non que parfois même elle ne se reprît à fixer sur elle un de ces noirs regards qui la faisaient soupirer et changer de place, en vertu d’un malaise dont la cause lui échappait.

Cette cause, elle la cherchait assidûment, et un jour qu’Elsie dormait épuisée, miss Darley, encouragée par la confiance toujours croissante que lui témoignait Dudley Venner, crut pouvoir interroger Sophy sur le passé de la jeune malade. La vieille négresse, d’abord un peu jalouse, avait fini par se résigner à subir le doux ascendant de la charmante Helen, et lui répondait maintenant sans trop de réserve.

— Quel âge a Elsie ? avait demandé miss Darley.

— Dix-huit ans depuis septembre dernier.

— Combien y a-t-il de temps que sa mère n’est plus ? continua Helen, dont la voix tremblait un peu.

— Dix-huit ans depuis octobre, répondit la vieille Sophy.

Helen demeura un moment silencieuse. Ensuite, murmurant à peine la question qu’elle hésitait depuis longtemps à formuler :

— De quoi, dit-elle, est morte la mère d’Elsie ?

Les petits yeux de la négresse s’ouvrirent à ces mots, si bien que leurs noires prunelles parurent entourées d’un large anneau blanc. Elle saisit la main d’Helen par un mouvement de frayeur subite, et détourna brusquement la tête du côté d’Elsie, comme si elle s’attendait à la voir réveillée en sursaut par cette imprudente allusion.

— Chut !… chut !… dit-elle après avoir emmené miss Darley jusque dans, le couloir, où, avant de parler, elle jeta un coup d’œil alarmé… On ne parle jamais de cela ici… Dieu sait sans doute pourquoi il a donné le pouvoir de tuer à ces terribles animaux,… pourquoi il a permis que ma pauvre Elsie, avant même d’être née, fût frappée d’une telle malédiction !… Enfin, miss Darley, ce fut en juillet que mistress Venner reçut le coup de la mort, mais elle survécut de trois semaines à la naissance de sa malheureuse enfant !…

Les sanglots déjà lui coupaient la parole ; mais elle en avait assez dit, et, rapprochant ce qu’elle venait d’entendre des traditions bizarres qui circulaient à Rockland sur le compte d’Elsie, miss Darley avait à peu près tout deviné. Elle se rendait compte de cet