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épervier qui plane dans les airs en guettant sa proie, et dévore en s’éloignant quelque pauvre lapin. Tout entier à sa première impression, on ne sent d’abord que le besoin d’admirer; mais peu à peu le silence vous oppresse, et finit par vous rendre insensible à toutes les beautés qui vous entourent.

Parmi les trois cent soixante espèces d’oiseaux qui vivent dans notre pays, les unes sont exclusivement forestières, d’autres préfèrent le séjour des champs et recherchent la présence de l’homme, d’autres enfin habitent les forêts pendant une partie de l’année seulement, ou bien vivent indifféremment ici ou là suivant qu’elles trouvent à se nourrir. A part quelques exceptions, toutes celles qui habitent les bois sont éminemment utiles, les unes parce qu’elles détruisent une foule d’insectes et autres animaux malfaisans, les autres parce qu’elles nous fournissent un gibier succulent, et que, tout en servant à notre alimentation, elles sont pour nous une occasion de plaisir.

Par une série de minutieuses expériences qui n’ont pas duré moins de quarante années, M. Florent Prévost, aide naturaliste au Muséum, est arrivé à connaître mois par mois, semaine par semaine, le régime alimentaire des oiseaux de nos climats. En examinant les débris contenus dans leurs estomacs, il a su combien chacun mange de graines, combien il dévore d’insectes. Il a donc pu classer les espèces suivant leur utilité, et les tableaux qu’il a dressés serviront sans doute à réhabiliter quelques-unes d’entre elles, aujourd’hui généralement condamnées. De ce nombre sont les rapaces nocturnes, qui comprennent les hiboux, les ducs, les effraies, les chats-huans, etc. Il n’est pas d’animaux qui nous rendent plus de services, et cependant il n’en est pas à qui on fasse une guerre plus acharnée. Qu’ils ne paient pas de mine, nous le voulons bien : leur grosse tête, leurs grands yeux bordés de plumes, leurs oreilles saillantes, leur donnent un aspect peu avenant; mais que, sous prétexte qu’ils sont de mauvais augure, on les pourchasse avec tant de cruauté, c’est ce qu’on ne peut comprendre. Ce préjugé est si invétéré que dans les campagnes on les cloue vivans à la porte des granges, et qu’on les laisse mourir de faim, en plein soleil, dans les douleurs d’une atroce agonie, comme des victimes sacrifiées à la colère d’une divinité malfaisante. Pauvres ignorans, qui ne voient pas que les véritables victimes sont les bourreaux, et qu’en agissant ainsi ils se livrent eux-mêmes à leurs plus mortels ennemis ! Ce que ces oiseaux détruisent de souris, de rats, de reptiles, d’insectes de toute espèce, est incalculable. On peut s’en faire une idée par ce que rapporte le naturaliste anglais White, qui constata par de nombreuses observations qu’un seul couple d’effraies prend par jour