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Le docteur, à mesure que passaient les jours, devenait de plus en plus grave. Elsie ne prenait presque plus de nourriture, et la fièvre semblait seule lui conserver, tout en l’épuisant, quelques forces. Pourtant elle ne changeait guère, et on pouvait espérer une de ces crises favorables dont la médecine dite « expectante » sait si bien se ménager les bénéfices.

Un jour cependant on vint appeler ce digne confrère. Elsie se débattait contre un paroxysme violent, compliqué de transport cérébral et de délire. Ses discours étaient bizarres : elle y parlait sans cesse de « la Montagne » et en particulier d’une grotte dont elle décrivait l’aspect dans le plus minutieux détail, — sans doute (ainsi du moins le pensa Helen) une retraite qu’elle s’était choisie autrefois, et où elle se réfugiait à l’abri de tout regard humain.

La crise un peu calmée, le docteur voulut savoir ce qui avait pu la provoquer. Il apprit alors que les jeunes élèves de l’Apollinean, les anciennes compagnes d’Elsie, revenues, depuis qu’elle semblait en danger, à des sentimens plus charitables, avaient voulu lui envoyer une corbeille de fleurs à la composition de laquelle chacune avait consacré sa petite offrande. Bernard Langdon, pour sa part, leur avait fourni quelques branches d’un magnifique feuillage, teint par l’automne du pourpre le plus splendide. Elsie avait reçu avec une certaine émotion cette marque imprévue de bon souvenir, et désiré qu’on plaçât un moment sur son lit les fleurs qu’on lui envoyait avec tant de cordialité ; mais à peine avait-on satisfait à ce vœu que ses yeux s’étaient fixés sur la corbeille, exprimant une secrète angoisse. Puis elle avait cherché du regard, autour d’elle, la cause de cette subite anxiété ; sa respiration s’était troublée, un tremblement l’avait saisie ; elle avait rapidement vidé la corbeille sur son lit, et à la vue des feuilles pourprées qui en garnissaient le fond, se rejetant en arrière avec un cri, elle était tombée dans des spasmes effrayans…

— Apportez-moi ces feuilles ! dit le docteur à Sophy, qui lui donnait tous ces détails hors la chambre de la malade. Et quand il les eut vues : — Ah ! s’écria-t-il, je m’en doutais !… Ne voyez-vous pas que c’est du frêne blanc ?

— Eh bien ! docteur ?

— Eh bien ! n’avez-vous jamais entendu parler de cet arbre ?

— Attendez, docteur… On dit qu’ils ne viennent jamais là où il pousse… Est-ce que c’est vrai, cela ?

Le docteur ne répondit à cette question que par un triste sourire, et revînt auprès d’Elsie. Elle dormait. Helen et Dudley Venner la contemplaient en silence. Ce dernier fit signe au docteur d’approcher, et, lui montrant le visage de sa fille : — Tenez, jugez-en