Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/97

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

amies, des mains amies… Catholiques ou protestantes, ce m’est tout un… Dites-le bien à mon père.

Puis elle continua de vivre comme auparavant, changeant très peu, à cela près que chaque jour les battemens de son cœur étaient plus faibles. Le docteur, avec toute sa pratique, ne pouvait se rendre compte de ce lent et graduel affaissement des facultés vitales, ni par aucun moyen en retarder le progrès continu. — Ayez soin, avait-il dit, qu’elle ne fasse aucun effort musculaire. Le moindre mouvement excessif, chez une personne aussi affaiblie, peut suspendre à l’instant même les battemens du cœur ; si le sien s’arrête une fois, il ne battra plus jamais.

Helen veillait avec un soin religieux à l’observation stricte de cette consigne. Tout au plus permettait-elle à Elsie de soulever le bras, de murmurer quelques paroles. La question maintenant se réduisait à savoir si ce frêle jet de flamme vitale s’éteindrait brusquement au plus léger souffle d’air, ou bien au contraire si les mains qui l’abritaient le feraient durer jusqu’à une heure propice appelée à lui rendre inopinément son ardeur première.

Un moment découragé par les menaçantes prédictions du docteur, Dudley Venner s’était pourtant repris à espérer, peut-être moins qu’il ne l’affectait après tout. Il vint un soir veiller auprès de sa fille. Jamais il n’avait mis un si tendre abandon à lui parler des choses passées, surtout de cette mère qu’elle n’avait point connue, et il l’entretenait aussi de l’avenir avec une confiance apparente, une ardeur de projets et d’espérances qui parfois arrachaient une espèce de faible sourire à la jeune malade ; mais elle ne répondait directement à aucune des suggestions par lesquelles il s’efforçait de ranimer sa foi dans l’avenir. Enfin l’heure vint de se quitter.

— Bonne nuit, chère enfant, dit-il, se penchant vers elle pour toucher de ses lèvres les joues pâlies de sa fille.

Elsie se releva par un effort soudain, lui jeta les bras autour du cou, et, l’embrassant elle-même : — Adieu, père ! lui dit-elle.

Ce mouvement inattendu avait été trop prompt pour qu’il pût l’empêcher. Maintenant il était trop tard. Les bras d’Elsie, cessant de l’étreindre, retombèrent comme deux masses inertes ; sa tête se rejeta en arrière sur l’oreiller ; un long souffle s’exhala de ses lèvres.

— Elle s’évanouit ! dit Helen.

Mais Sophy était déjà près du lit. — Elle est morte !… Elsie est morte ! cria-t-elle avec un éclat désespéré.

........


Ce soir-là, une cloche qui sonnait le glas mortuaire éveilla l’attention des habitans de Rockland. Auprès de maint foyer, la causerie de famille demeura suspendue. — Une,… deux,… trois,…