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du mérite, mais du résultat des œuvres. Sans l’Histoire florentine, nous ne connaissions que ce dernier; par elle, nous apercevons Guichardin sous un autre aspect, nous savons ce que lui coûte son scepticisme, et jusqu’à quel point il a subi le joug de son temps.

Nous n’avons signalé encore que des différences entre les deux ouvrages de Guichardin: mais il règne aussi entre eux une ressemblance générale qui fait bien reconnaître dans l’un et dans l’autre la même plume et la même intelligence, et qui confirme la conjecture suivant laquelle l’Histoire florentine aurait servi de préparation à l’Histoire d’Italie. Au fond déjà l’identité de caractère et d’esprit, sauf les transformations qui résultent presque toujours de l’expérience et du passage de la jeunesse à l’âge mûr, nous est apparue à travers les différences mêmes. Nous avons vu dès le premier morceau sur Savonarole, à côté d’un témoin étonné et même involontairement ému des grandes choses, un juge surtout épris de l’habileté. Quant à la forme, l’Histoire florentine n’offre pas de harangues, il est vrai, mais on y rencontre çà et là des réflexions et des considérations conformes à la situation des principaux personnages, et réunies pour ainsi dire à l’état de sommaires qu’un développement en discours directs mettait aisément en saillie. S’il est vrai enfin que, moins travaillée, cette histoire ne contienne pas en général de morceaux particulièrement destinés à faire montre de style et d’imitation de l’antique, on y reconnaît pourtant l’élève à peine échappé des écoles de la renaissance, et qui, même dans une esquisse, dans une étude rapide destinée à ne pas sortir de l’atelier, ne saurait s’abstenir de distribuer son dessin et de grouper ses masses suivant les préceptes de l’école et l’exemple des maîtres. Le morceau qui suit montre bien ces habitudes classiques d’esprit et de style, fort en honneur dans l’Italie du XVIe siècle, et auxquelles Guichardin restera fidèle dans son grand ouvrage. Il contient d’ailleurs un curieux portrait de Laurent de Médicis. Après le jugement de Guichardin sur Savonarole, héros de la liberté florentine, nous aurons son appréciation sur le plus illustre de ceux qui avaient supprimé cette même liberté; il l’avait fait au prix de compensations que Guichardin n’était pas homme à dédaigner.


«La cité était dans une paix profonde; son gouvernement était uni et fort, et si puissant que nul n’osait hasarder le moindre signe d’opposition. Chaque jour, le peuple, satisfait par l’abondance des choses nécessaires à la vie et par la prospérité du commerce, se délectait dans les fêtes, les spectacles et les nouveautés de tout genre. Les hommes de science et de mérite applaudissaient en voyant les honneurs et les récompenses se répandre sur les œuvres de l’intelligence, des lettres et des arts. Jouissant de ce complet et heureux repos à l’intérieur, la cité atteignait au dehors le plus haut degré