Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/977

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Suit un parallèle entre Laurent et Côme, un parallèle conforme aux règles classiques et qui termine bien ce morceau, dans lequel apparaissent clairement l’élève de la renaissance et le politique du XVIe siècle. Spectateur attentif et curieux, mais en général insensible, Guichardin semble adresser, il est vrai, quelques reproches à Laurent de Médicis pour la légèreté de sa conduite privée en un si haut rang, pour cet entourage d’hommes armés convenant mal dans une démocratie, enfin pour l’élévation de gens de rien égalés aux mieux nés de la république; mais on sent qu’il accueillera vite certaines explications à titre d’excuses, et il lui paraît qu’en somme, si Laurent de Médicis exerça la tyrannie, il fut le meilleur des tyrans. Il est clair que, dans cette première période de sa vie et de ses travaux, Guichardin veut n’être qu’observateur et se défendre même contre ses propres émotions. A peine l’avons-nous vu se trahir un instant en présence de l’héroïsme de Savonarole; à peine le voyons-nous ici désapprouver quelques allures qui dénotent la tyrannie. Il contemple avec intérêt les passions humaines s’appliquant à la politique, il étudie ce jeu complexe et en attend les effets. Toutes les combinaisons diverses qu’offre à ses yeux le gouvernement changeant de Florence lui sont autant d’objets de calcul et de froide réflexion. Quelle riche matière du reste que cette scène étroite, mais animée, qu’il observe et décrit! Florence, comme jadis Sparte et Athènes, nous a fait mesurer la gloire humaine, non pas à l’étendue de la puissance matérielle, mais à la vitalité, à l’énergie, à la puissance de l’esprit. Avec quelques lieues carrées de domination non incontestée, elle est devenue un des plus mémorables états dans l’histoire du monde. Ses agitations intérieures ont montré l’ardeur incomparable et la fécondité du génie italien au temps de la renaissance. L’Histoire florentine de Guichardin et ses Discours sur les changemens du gouvernement de Florence, compris dans le second volume des Œuvres inédites, reproduisent le tableau de cette vivante diversité.

Mais Guichardin se bornait-il enfin à observer, quelque attachant qu’il fût, un tel spectacle? Au milieu de ces conceptions politiques, qui dans Florence entretenaient l’activité du citoyen et y servaient de base, en dépit des disgrâces de la liberté, à tout un magnifique développement intellectuel et moral, n’allait-il manifester aucune préférence ni prendre aucun parti? Des problèmes inévitables naissaient de la vue même de tant d’agitations. Guichardin devait-il s’y soustraire pour rester le jouet d’une perpétuelle incertitude? Une incontestable hauteur d’intelligence, à défaut d’une grande élévation de cœur, devait le préserver, en partie seulement, de cette faiblesse et nous le montrer inclinant vers la vérité, mais sans qu’on