Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/979

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refuser sa louange à celui qui applique son esprit à la contemplation d’un si grand et si digne objet, encore qu’il n’en puisse pas toujours tirer des enseignemens appropriés à la pratique de son temps, et qu’il n’ait aucune espérance de voir jamais ses pensées et ses desseins réalisés. Quand Platon méditait et écrivait sur la république, assurément ce n’était pas dans l’attente que son gouvernement idéal pût être adopté et suivi par les Athéniens, devenus dès lors si indisciplinés et si insolens, que, désespérant, comme il l’écrit dans une de ses lettres, de les voir jamais se bien gouverner, il ne voulut jamais se mêler de leurs affaires.

« Il ne sera donc en aucune manière répréhensible de penser et d’écrire sur le gouvernement de notre cité, d’autant moins que si, par l’autorité des Médicis à Florence et du souverain pontife à Rome, la liberté y semble perdue, cependant, par un de ces accidens ordinaires aux choses humaines et qui peuvent renaître à toute heure, comme en un instant Florence a passé du gouvernement populaire au gouvernement d’un seul, elle pourrait avec la même facilité retourner du gouvernement d’un seul à sa première liberté. S’il en devait arriver ainsi, il se pourrait que ces pensées et ce discours ne fussent pas tout à fait inutiles. L’exemple encore récent du temps où Pierre Soderini fut gonfalonier, et pendant lequel cette cité semblait avoir accepté la forme d’un bon et louable gouvernement, permet de croire que ce peuple n’est pas encore corrompu à ce point qu’il faille le regarder comme incapable de la liberté. »


Ce n’est pas en son propre nom que Guichardin veut instituer la discussion et adresser à ses concitoyens ses méditations et ses conseils; il ne s’attribue pas tout le crédit qu’il faudrait pour cette grande tâche, mais il se souvient des entretiens graves et animés au milieu desquels s’est formée son enfance. Dans ces temps si troublés, son père et ses oncles ont pris part aux affaires, et ils ont eu pour amis ou pour adversaires les hommes les plus distingués de la république. Par la pensée, il ressuscite ces témoins respectés; il leur rend la parole suivant leurs caractères, il écoute leurs réflexions et les transcrit sous leur dictée. Le moment qu’il choisit pour y placer ce dialogue est l’année 1494, quelques mois après l’invasion de Charles VIII et l’expulsion de Pierre de Médicis, et quand l’influence de Savonarole commence à fonder le gouvernement populaire. Les quatre interlocuteurs sont des personnages historiques. — Piero Capponi est assez connu : éloquent, spirituel, ambitieux, son crédit dans Florence l’avait fait déjà redouter de Laurent ; il contribua pour beaucoup à la révolution qui renversa Pierre et chassa les Médicis. Lorsque les Français furent entrés dans la ville, c’est lui, avec Francesco Valori et quelques autres, qui alla présenter à Charles VIII les conditions que prétendait imposer Florence. Le jeune roi, à qui elles ne plaisaient point, avait fait rédiger un autre projet de traité, mais qui contenait, dit Guichardin lui