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vaux de Toscanelli et d’autres, les sciences ont fait de grands progrès : Marsile Ficin et maints philosophes ont tenu des écoles de politique: Bernardo ne dédaigne pas chez des adversaires tous ces avantages; il n’a reçu, lui, que les enseignemens des affaires et de l’expérience, il parle suivant les seules inspirations du bon sens (posposta ogni autorità de’ filosofi, parlando naturalmente) : aussi écoute-t-il les objections attentivement et fait-il volontiers la part de sa propre faiblesse. Habile contraste entre ces jeunes gens aimables, tout épris de l’avenir, et ce prudent vieillard, content du passé; contraste que rend plus touchant encore la confidence où est le lecteur du sort qui attend les deux principaux interlocuteurs! Comme Capponi, Bernardo paiera de sa vie le malheur des guerres civiles; pour n’avoir pas révélé un complot en faveur de Pierre, il sera décapité. Les souvenirs et les regrets que Guichardin met sur ses lèvres pendant tout le cours du dialogue empruntent à la pensée de cette vertu et de cette prochaine infortune un nouveau caractère de noblesse et de loyauté.

À cette scène ingénieuse, l’auteur a su dessiner un cadre d’une rare élégance, qui fait revivre à nos yeux toutes les grâces de la renaissance florentine. On se rappelle l’admirable exposition du Phèdre de Platon. Phèdre a conduit Socrate au-delà des portes d’Athènes, jusque sur les bords de l’Ilissus, au pied d’arbres qui semblent être là en fleur seulement pour embaumer l’air : « Par Jupiter! dit Socrate charmé, quel beau lieu de repos ! Comme ce platane est large et élevé ! Quoi de plus gracieux que cette source dont nos pieds attestent la fraîcheur ! Ce lieu pourrait bien être consacré à quelque nymphe et au fleuve Achéloüs, à en juger par ces figures et ces statues. Goûte un peu l’air qu’on y respire : est-il rien de si suave et de si délicieux? Le chant des cigales a quelque chose d’animé et qui sent l’été. J’aime surtout cette herbe touffue qui nous permet de nous étendre et de reposer mollement notre tête sur ce terrain légèrement incliné. Mon cher Phèdre, tu ne pouvais mieux me conduire... » Telle est la peinture empruntée par le philosophe grec au doux climat de l’Attique et qui s’accordera si justement avec la sérénité de l’entretien. Il s’attache un peu du même charme à l’exposition du dialogue sur le gouvernement de Florence. L’élévation du sujet annoncé est presque la même ; la politesse florentine prendra la place de l’urbanité grecque; les bords de l’Arno rappelleront les bords de l’Ilissus, les hauteurs de Fiesole celles du Pentélique et de l’Hymette, le ciel de Florence celui d’Athènes. — Les trois jeunes hommes, Capponi, Soderini et Guicciardini, revenant d’un pèlerinage à l’église de Santa-Maria-Impruneta, s’arrêtent chez Bernardo del Nero, qui. dans la solitude et la paix de la campagne et