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au milieu des soins de l’agriculture, se repose des honneurs qu’il a perdus. Le vieillard, qui les accueille avec bonté, se défend d’abord de reprendre avec eux les souvenirs et les discussions de la vie politique : « Allons plutôt, s’il vous plaît, leur dit-il, visiter l’habitation; je vous montrerai beaucoup de belles cultures que je veux entreprendre, non plus pour moi, mais pour ceux qui viendront après moi. Je vous montrerai le projet d’une belle construction qui se pourrait faire, non par moi, car, après un si long temps employé aux affaires de l’état, je ne suis pas assez riche pour me passer de telles fantaisies; mais vous verrez quel plaisir je prends à l’agriculture, et comme on peut honnêtement profiter du repos... » Il dit, mais les jeunes gens ne connaissent pas le repos; ils sont venus pour s’entretenir avec un ami respecté des affaires de la république, ou plutôt pour interroger sa prudence comme des fils qui consultent un père (non dirò tra amici, ma più tosto tra padre e figlinoli). « C’est un si grand plaisir d’entendre parler de ces grandes choses un homme qui les a apprises non dans les livres des philosophes, mais avec le temps, par l’expérience et l’action... Laissons, s’il vous plaît, laissons à un autre moment l’agriculture, les jardins et les bâtimens, et dites-nous, nous vous en prions, votre avis sur notre dernier changement. » Bernardo se laisse persuader; il prend bientôt plaisir lui-même à sentir renaître ses anciennes pensées; il les livre tout entières, écoute et réfute les objections; le soir venu, il fait souper ses hôtes, les retient dans sa demeure, et consacre encore la matinée du lendemain à l’entretien que tout à l’heure il redoutait. « Les nuits sont longues, dit-il en les abordant de nouveau, et d’ordinaire les vieillards dorment peu; j’ai donc eu plusieurs heures pour réfléchir à notre conversation d’hier soir : plus j’y ai songé, plus m’ont semblé vraies les choses que je vous ai dites. Toutefois, comme je puis facilement me tromper, j’entendrai avec plaisir ce que vous avez encore à me répondre, non pour disputer (ce ne serait que gagner de l’ennui), mais pour nous instruire mutuellement et éclaircir cette matière. De toute façon, vous ne me quitterez point sans avoir dîné ici : nous ne sommes donc pas pressés; ne soyez pas plus avares de vos pensées que je ne l’ai été moi-même hier, car je serai heureux de vous entendre. » Telle est l’urbanité, tel est le ton d’exquise politesse qui règne dans tout le dialogue, et grâce auquel chaque opinion se produit à l’aise, avec le respect de l’opinion contraire et la conscience de sa propre honnêteté.

Les deux journées forment deux livres : dans le premier, chacun s’efforce de montrer l’excellence de la forme de gouvernement qu’il soutient et les défauts de celle que vante son interlocuteur; dans le second, l’état actuel de Florence étant accepté de part et d’autre,